Le temps presse au sein de l’UE pour boucler les dossiers prioritaires avant les prochaines élections européennes de juin. Parmi les textes que la présidence belge du Conseil de l’UE a mis en haut de l’agenda, il y a la sortie du TCE, le traité sur la charte de l’énergie. Cet accord signé en 1994, à la sortie de la guerre froide, par une cinquantaine de pays dont l’Union européenne, les pays de l’ancien bloc soviétique, le Japon ou encore l’Afghanistan, est considéré comme une épée de Damoclès sur la transition énergétique européenne. Il donne en effet la possibilité aux multinationales et aux investisseurs d’attaquer en justice les gouvernements dès lors que ces derniers modifient leurs politiques énergétiques : que ce soit en abandonnant les énergies fossiles, mais aussi en réduisant les subventions aux énergies renouvelables.
Fin 2022, après des années de mobilisation citoyenne, une vague de pays dont la France a annoncé leur décision de se retirer unilatéralement du traité, qui fait l’objet d’une modernisation depuis 2018. Face à cette fronde, la Commission européenne s’est résignée à proposer une sortie coordonnée de l’UE du TCE en juillet 2023. Mais depuis, les négociations étaient enlisées au sein du Conseil de l’UE. Un compromis a finalement été présenté il y a une dizaine de jours. Il propose une sortie du traité pour l’UE tout en permettant aux Etats membres qui souhaitent y rester d’approuver la modernisation du traité lors de la prochaine conférence du TCE qui se tiendra en fin d’année.
“Une très bonne nouvelle”
Le 7 mars, les 27 Etats membres ont approuvé ce compromis qui doit désormais être adopté au Parlement européen lors de la session plénière d’avril. “Le compromis va susciter des négociations notamment au sein de la Commission Industrie, proche du PPE, mais si les Etats se sont mis d’accord, ça devrait passer“, croit savoir Audrey Changoe, coordinatrice des politiques de commerce et d’investissement au sein du Réseau Action Climat Europe, interrogée par Novethic.
Parmi les points d’achoppement, il y a l’interdiction de litiges intra-européens, jugés illégaux par une décision de la Cour de justice européenne, ou encore la “clause de survie” qui prévoit que les pays signataires du TCE puissent être visés par des litiges plusieurs années après leur retrait du texte. “Bien sûr, on aurait préféré une sortie à 27 mais c’est quand même une très bonne nouvelle parce que ça fait des années qu’on se bat contre ce traité”, se réjouit la militante.
Le texte de compromis propose par ailleurs de limiter la protection des investissements dans les infrastructures existantes d’énergies fossiles à dix ans, de protéger les investissements dans l’hydrogène et les carburants de synthèse, mais d’exclure les activités de capture et stockage du CO2.
Politique expansionniste du TCE
A ce jour, une dizaine de pays ont décidé de se retirer unilatéralement du TCE : la France, l’Espagne, les Pays-Bas, la Pologne, l’Allemagne, la Slovénie, le Luxembourg, le Danemark et le Portugal. D’autres pourraient suivre comme la Lituanie, la Lettonie ou encore la Roumanie. Une poignée de pays comme Chypre, la Hongrie et la Slovaquie ont en revanche déclaré qu’ils préféreraient rester dans une version mise à jour de l’accord.
Au-delà de l’Union européenne, le Secrétariat du TCE milite depuis des années pour obtenir l’adhésion de nouveaux signataires au Traité notamment en Afrique, au Moyen-Orient, en Asie et en Amérique latine. “La sortie de l’UE pourrait toutefois réussir à tuer le TCE en envoyant une alerte aux pays qui hésitent encore. L’UE était aussi une source importante de financements qui permettaient de mener ce travail d’expansion. On espère donc que celui-ci va s’arrêter afin de ne pas piéger la politique énergétique de nouveaux pays et les exposer à des poursuites judiciaires coûteuses de la part d’investisseurs mécontents”, commente Audrey Changoe.
À ce jour, on relève 150 réclamations dans le cadre du TCE avec 115 milliards d’euros de compensations demandées, et près de 43 milliards accordés. La France a elle aussi été poursuivie pour la première fois début septembre 2022 par le producteur d’énergie renouvelable allemand Encavis AG pour avoir modifié ses tarifs de rachat sur le photovoltaïque. Un contentieux qui suit son cours malgré le retrait de la France du TCE.