“Le Vermont vient d’entrer dans l’histoire”. Ce petit Etat du nord-est des Etats-Unis, réputé pour ses paysages naturels, vient de promulguer une loi inédite. Elle vise à faire payer les grandes entreprises pétrolières pour les dégâts climatiques causés par leurs activités, fortement émettrices de gaz à effet de serre. “Des entreprises comme ExxonMobil le savaient, elles ont menti, et maintenant il est temps de les faire payer”, a réagi Jamie Henn, porte-parole de la campagne Make polluters pay (Faites payer les pollueurs).
En vertu de cette nouvelle législation, le trésorier de l’Etat devra publier d’ici janvier 2026 un rapport sur le coût total estimé pour les résidents du changement climatique sur la période 1995-2024 en prenant en compte ses effets sur la santé, les ressources naturelles, l’agriculture, le développement économique ou encore le logement. Ensuite, ces coûts seront imputés aux plus grandes entreprises pétrolières, ayant émis plus d’un milliard de tonnes de CO2 sur la période et ayant un lien avec le Vermont. Pour l’instant, les montants ne sont pas connus mais ils s’élèveront à plusieurs centaines de millions de dollars.
Le lobby du pétrole vent debout
Le texte s’appuie sur la loi “Superfund” de l’Agence de protection de l’environnement de 1980 qui oblige les entreprises à compenser financièrement les dégâts causés par leurs activités. Le Vermont souhaite ainsi appliquer le même principe aux impacts du changement climatique. L’été dernier, il a subi d’importantes inondations, dont les dégâts ont été estimés à un milliard de dollars et il est le neuvième Etat américain à se réchauffer le plus rapidement.
“Enfin, peut-être pour la première fois, le Vermont va tenir les entreprises financièrement responsables des inondations, des incendies et des vagues de chaleur”, a déclaré Lauren Hierl, directrice exécutive de Vermont Conservation Voters et conseillère municipale de Montpelier, la capitale de l’Etat. “Sans le Superfund pour le climat, les coûts du changement climatique incombent entièrement aux contribuables – et ce n’est pas juste”, a-t-elle ajouté.
Reste que les industries fossiles vont sans aucun doute multiplier les recours en justice contre le texte. L’American petroleum institute, qui regroupe les industriels américains du gaz et du pétrole, s’est ainsi fendu d’une lettre aux élus, en mars, pour les appeler à ne pas adopter cette loi qui “constitue une mauvaise politique publique et pourrait être inconstitutionnelle”. Le lobby met en avant des amendes disproportionnées et une rétroactivité trop importante. Il pointe également le fait de ne s’attaquer qu’à certaines entreprises et pas à toute la chaine, “tout en ignorant l’utilité de ces énergies pour soutenir l’économie”.
“Parrains du chaos climatique”
Le Maryland, le Massachusetts, New York ou encore la Californie ont également présenté des projets de loi similaires cette année, mais aucun n’a encore réussi à les faire adopter. Au sein de l’Union européenne, pour faire face aux prix élevés de l’énergie, une taxe exceptionnelle sur les superprofits des énergéticiens a été mise en place en 2022. En France, elle a finalement rapporté 40 fois moins que prévu loi sur les superprofits taxes en raison de son périmètre très restreint. Or, selon un nouveau rapport de Greenpeace, publié fin avril, avec l’association Stamp out poverty, taxer les grandes compagnies des énergies fossiles pourrait rapporter 900 milliards de dollars d’ici 2030 au niveau mondial.
Cette taxe sur les dommages climatiques prendrait la forme d’une redevance sur l’extraction de chaque tonne de charbon, baril de pétrole ou mètre cube de gaz. Et elle permettrait d’aider les pays les plus vulnérables à faire face aux dégâts liés aux catastrophes climatiques. “Les gouvernements ne peuvent pas continuer à laisser les citoyens payer la facture du changement climatique alors que des entreprises comme Shell et TotalEnergies engrangent des profits records grâce aux prix élevés de l’énergie”, argumente Sarah Roussel, chargée de campagne Climat chez Greenpeace France.
Alors que le monde bat des records de températures depuis douze mois d’affilée, Antonio Guterres, le secrétaire général de l’Onu, a lui aussi appelé, mercredi 5 juin, à l’occasion de la Journée mondiale de l’environnement, à “taxer les bénéfices exceptionnels des entreprises du secteur des énergies fossiles” et à interdire les publicités pour ces “parrains du chaos climatique“, comme il les a nommés. “Nous jouons à la roulette russe avec la planète. Nous avons besoin d’une bretelle de sortie sur l’autoroute qui mène vers l’enfer climatique”, a-t-il conclut.