Cinq mois de travail, 40 auditions et 33 recommandations. Voici résumé en trois chiffres le bilan de la Commission d’enquête sénatoriale sur TotalEnergies, lancée par le groupe écologiste en janvier dernier. L’objectif était de “faire toute la lumière sur les activités de Total“, promettait Yannick Jadot, nouveau sénateur Vert de Paris et rapporteur de la commission. Une ambition forte qui s’est heurtée à la frilosité sinon l’hostilité de la majorité du groupe de travail, présidé par le sénateur LR Roger Karoutchi. Le risque était grand qu’il n’y ait même pas de rapport du tout.
Finalement, 18 des 19 membres de la Commission ont adopté un texte qui apparaît “consensuel“, comme le qualifie Yannick Jadot. “Une voie de passage acceptable pour tous les groupes”, “un juste milieu”, “un rapport à l’équilibre”, a répété Roger Karoutchi tout au long de la conférence de presse qui s’est tenue mercredi 19 juin. Dans le rapport, il y a en effet peu de mesures fortes si ce n’est toutefois, et c’est notable, celle qui appelle l’Etat à prendre une action spécifique au sein de TotalEnergies.
“L’action spécifique offre à l’État des pouvoirs décorrélés de son poids dans le capital, comme la nomination d’un représentant de l’État sans voix délibérative au conseil d’administration, le droit de s’opposer à des cessions d’actifs ou encore la soumission à un agrément préalable du ministre chargé de l’économie de tout franchissement de seuil de participations”, précise le rapport. L’État détient des actions spécifiques dans plusieurs entreprises stratégiques, à l’instar de Thalès, Engie, Safran Ceramics, Nexter Systems et Aubert & Duval SAS.
Souveraineté énergétique
“Nous appelons à un retour de l’Etat dans la gouvernance et le capital de TotalEnergies (depuis 2002, l’État n’est plus détenteur d’actions au sein du groupe Total, ndr). Ça lui donnerait des pouvoirs très importants au regard des décisions et de la gestion de TotalEnergies”, indique Yannick Jadot. “L’objectif n’est pas de s’immiscer dans la vie quotidienne de l’entreprise mais d’avoir un droit de regard, et même de veto par exemple sur le déménagement de son siège social“, ajoute Roger Karoutchi. Patrick Pouyanné, le PDG de la major, avait laissé entendre qu’il envisageait un déménagement de sa cotation principale à New York mais il s’est rétracté lors de son audition au Sénat et s’est engagé “à ce que TotalEnergies reste une entreprise française”.
Pour justifier cette recommandation, la Commission sénatoriale met en avant l’enjeu de souveraineté énergétique alors que l’actionnariat de TotalEnergies est aujourd’hui composé à environ 40% d’actionnaires nord-américains et à 55% d’actionnaires européens. “TotalEnergies est un fleuron français qui doit le rester et qui doit participer à notre souveraineté énergétique”, a ainsi souligné Roger Karoutchi. Il s’agit aussi d’accompagner l’entreprise dans ses efforts de transition énergétique.
Le groupe écologiste proposait par ailleurs, en plus de l’action spécifique, que l’État français monte au capital de TotalEnergies à hauteur de 5% voire 10%, “afin de rééquilibrer l’actionnariat européen avec l’actionnariat nord-américain, et construire des coalitions actionnariales qui réorientent significativement la stratégie d’investissement pour qu’elle s’aligne sur l’Accord de Paris”. Mais la proposition a été retoquée. “Nous sommes tous convenus dans nos débats qu’une participation de 5% au capital ne permettrait pas à l’État d’influer sur les principales décisions et évolutions du groupe”, explique Roger Karoutchi. “Une telle décision aurait également pesé lourd sur les finances publiques, équivalant à environ 7 milliards d’euros”, ajoute-t-il.
“Deux visions opposées”
“Ce rapport a le mérite d’ouvrir le débat au sein d’une des instances démocratiques clefs du pays sur l’impérieuse nécessité d’une reprise en main par l’État de son rôle de régulateur des multinationales, et en particulier du secteur des énergies fossiles”, réagissent dans un communiqué commun plusieurs associations environnementales. Elles regrettent cependant “le manque d’ambition de la plupart des 33 recommandations du rapport”. “Notamment pour mettre fin à la diplomatie économique en soutien à Total et au lobbying débridé de cette entreprise”, précise Juliette Renaud, coordinatrice des Amis de la Terre France.
“Le but n’était pas de déstabiliser ou d’incriminer TotalEnergies”, conclut Roger Karoutchi. “Sur un sujet très sensible, il s’agissait de démontrer qu’on pouvait trouver un compromis”, explique quant à lui Yannick Jadot. Pour Edina Ifticène, chargée de campagne Énergies fossiles à Greenpeace France, entre Roger Karoutchi et Yannick Jadot “deux visions opposées se dégagent”. “D’une part, l’industrie et ses soutiens politiques qui balayent d’un revers de main la responsabilité de TotalEnergies dans la crise climatique, d’autre part, celles et ceux qui alertent sur les risques de plus en plus tangibles que cette logique fait peser sur notre avenir et rappellent l’État à son devoir de protection de l’intérêt général”, détaille-t-elle.
Outre les quelques mesures concernant TotalEnergies, le reste du rapport appelle globalement l’ensemble des acteurs à accélérer la transition écologique. Par exemple, il recommande à l’Etat de présenter la loi de programmation énergétique d’ici la fin de l’année 2024, de moderniser le droit minier pour sortir plus rapidement des énergies fossiles, de proposer l’inclusion du gaz naturel liquéfié (GNL) russe aux produits énergétiques sous sanctions européennes, de renforcer les bilans carbone et plans de transition des entreprises, ou encore d’améliorer le contrôle des mobilités public-privé.