La commission d’enquête sénatoriale sur TotalEnergies entre dans sa dernière ligne droite. Lancée en début d’année, à l’initiative notamment de Yannick Jadot, elle vise à déterminer “les moyens mobilisés et mobilisables par l’État pour assurer la prise en compte et le respect par le groupe TotalEnergies des obligations climatiques et des orientations de la politique étrangère de la France”, selon la proposition de résolution déposée par les écologistes.
Après une trentaine d’auditions de scientifiques, d’ONG, d’entreprises ou d’institutions publiques, le point d’orgue a été celle de Patrick Pouyanné, le PDG de la major, lundi 29 avril. Pendant plus de deux heures, l’air serein, il a assumé sa stratégie qui consiste à poursuivre les investissements dans les hydrocarbures afin de pouvoir investir dans les énergies décarbonées et passer d’un système à l’autre.
“Nouveau pape, nouvelle bible”
Face à une quinzaine de parlementaires, le patron de TotalEnergies en a profité pour fustiger le scénario NZE (net zero emissions) de l’AIE, l’Agence internationale de l’énergie, qui implique de laisser décliner les champs pétro-gaziers actuels sans en ouvrir de nouveaux. “Le problème c’est que la même AIE nous dit que la demande de pétrole va augmenter. Elle sera de 106 millions de barils par jour en 2026. Si on avait suivi la trajectoire NZE, on serait à 80 millions de barils par jour aujourd’hui…”, a longuement argumenté Patrick Pouyanné.
En audition au sénat, Patrick Pouyanné évoque les failles méthodologiques des scénarios Net Zéro de l’AIE : « je veux bien que tout le monde s’y raccroche, qu’on ait un nouveau pape et une nouvelle bible, mais ce n’est pas la réalité de ce que nous vivons aujourd’hui». pic.twitter.com/BMvlEZLOJ2
— Documentaire et Vérité (@DocuVerite) April 30, 2024
“Je veux bien que tout le monde s’y raccroche, et que maintenant on ait un nouveau pape (Fatih Birol, le patron de l’AIE, ndr), une nouvelle bible, mais ce scénario n’est pas la réalité que nous vivons parce que la demande de pétrole continue d’augmenter, pas chez nous dans les pays occidentaux, mais dans les pays émergents”, a-t-il poursuivi.
Le PDG de TotalEnergies défend un autre scénario, également proposé par l’AIE, plus “réaliste” selon lui : le scénario APS (Announced Pledges Scenario) qui se base sur les politiques énergétiques annoncées par les gouvernements et qui nous place sur un réchauffement de 1,7°C. Une trajectoire sur laquelle se situe TotalEnergies, a précisé Patrick Pouyanné, en ajoutant : “Ce sera déjà pas mal si la société et la planète arrivent à rester sous 2°C, on aura déjà fait un bel effort…”
Une commission à l’issue incertaine
De leur côté, les ONG, qui avaient organisé une conférence de presse en amont de cette audition et lancé un bingo pour l’occasion, rappellent que les scientifiques sont “clairs” : “il ne faut plus un seul nouveau projet d’hydrocarbures au vu de la crise climatique”. “Dans les faits, Total ne fait pas que répondre à la demande, il entretient notre dépendance aux énergies fossiles et notamment au gaz en poussant pour la construction de nouvelles infrastructures gazières comme le nouveau terminal méthanier du Havre qui sert principalement ses intérêts à elle”, réagit Juliette Renaud des Amis de la Terre.
C’est parti pour l’audition de @PPouyanne PDG de @TotalEnergies par la commission d’enquête du Sénat… Les sénateurs sauront-ils lui poser les bonnes questions ?
En tout cas, on a déjà une petite idée de ce que seront ses réponses pour faire croire que Total est “en transition” https://t.co/Wokp6vRH5a
— Juliette Renaud (@JulietRenaud) April 29, 2024
Au-delà de l’audition de Patrick Pouyanné, elles se disent globalement déçues par la conduite de la commission d’enquête, présidée par le sénateur LR Roger Karoutchi. “Au début de chaque audition, il précise que les questions devront être limitées et qu’il n’y aura pas d’allers-retours, de conversation possible. On a senti aussi une certaine défiance à l’égard des ONG et un défaitisme des parlementaires quant à leur capacité à réguler TotalEnergies, encore très largement considéré comme un fleuron français“, explique Edina Ifticene de Greenpeace.
Les ONG appellent les parlementaires à aller plus loin et prendre des mesures concrètes telle que la mise en place d’objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre pour l’industrie fossile ou l’obligation pour le secteur à payer pour les pertes et dommages causées par les événements climatiques extrêmes via une taxation des profits ou superprofits des entreprises. Elles demandent aussi la fin des “portes tournantes”, ces aller-retours de hauts fonctionnaires ou dirigeants entre secteur public et privé.
Le rapport final est attendu pour la mi-juin. Mais pour être publié, il doit être adopté à la majorité, ce qui semble aujourd’hui bien incertain tant les divergences sont grandes au sein du groupe. “Si Yannick Jadot (rapporteur de la commission, ndr) souhaite que son rapport soit voté, je ne vois pas très bien ce qu’il pourrait y mettre”, pointe la sénatrice LR Sophie Primas, membre de la commission d’enquête. Elle regrette auprès de l’AFP “une forme d’obsession du rapporteur pour qui Total incarne le mal climatique absolu”. “Ce serait vraiment un échec qu’il n’y ait pas de rapport”, annonce Juliette Renaud.