L’horizon est bien nuageux pour la filière photovoltaïque européenne. Selon SolarPower Europe, qui représente les intérêts des producteurs européens de photovoltaïque, huit sociétés européennes du secteur ont annoncé en six mois la mise à l’arrêt ou la diminution de leurs productions, des suppressions d’emplois, voire des banqueroutes, avec à la clé des centaines d’emplois menacés. “Je ne suis pas des plus optimistes pour la filière photovoltaïque européenne”, confirme auprès de Novethic Aurélien Boronat, chercheur spécialisé dans les politiques industrielles européennes.
Symbole de la crise : le pionnier français Photowatt a récemment annoncé fermer un de ses ateliers isérois. En janvier, c’est Meyer Burger, emblématique producteur suisse, qui annonçait une pause dans la production de sa principale usine, en Allemagne, après avoir perdu plus de 80% de sa valeur boursière. Quelques semaines plus tard, confirmation : l’usine se délocalise aux Etats-Unis et supprime 500 emplois en Europe. En cause, selon un communiqué de l’entreprise, “l’absence de protection européenne contre la concurrence déloyale de la Chine.”
Les panneaux solaires chinois à prix cassés inondent l’Europe
Difficile en effet d’affronter les producteurs chinois, qui produisent à un coût jusqu’à deux fois moins élevé qu’en Europe, selon un rapport publié en janvier par les acteurs européens du solaire. En Chine, la filière est en plein boom depuis deux décennies, ce qui a permis le développement de grandes usines intégrées, très productives, avec une main d’œuvre à bas coût, bénéficiant du soutien actif du gouvernement chinois. Pour protéger ses producteurs, l’Europe avait essayé en 2013 de taxer les panneaux solaires chinois, en vain. Le résultat a même été contre-productif car les coûts de développement du solaire avaient augmenté en Europe pour les installateurs qui n’avaient pas vraiment d’alternatives aux panneaux chinois, ceux-ci représentant 90% du marché européen.
Aujourd’hui, la concurrence est également rude avec les Etats-Unis. L’IRA (Inflation Reduction Act) permet au gouvernement fédéral de subventionner davantage certains secteurs, et il devient plus intéressant de produire des panneaux solaires outre-Atlantique qu’en Europe, ce qui détourne les investisseurs. De plus, l’IRA ayant fermé les portes américaines aux panneaux solaires des producteurs chinois, ces derniers se rabattent sur l’Europe et cassent encore les prix. Les panneaux solaires chinois inondent ainsi une Union Européenne déjà en surcapacité. En face, les producteurs européens ne peuvent pas suivre.
Pour Aurélien Boronat, cette situation n’est pas surprenante : “on a laissé la filière européenne se désindustrialiser face à la concurrence chinoise. Actuellement, les entreprises européennes du solaire sont de petites PME avec des capacités de production limitées et peu de ressources financières.” L’Europe n’a pour l’heure pas mis en œuvre les mesures nécessaires pour restructurer cette filière, pourtant stratégique. “Aujourd’hui, l’Europe investit dans les batteries, l’hydrogène, le nucléaire, qui sont des filières clé pour des secteurs majeurs de l’économie, et qui ont des lobbies puissants. Pour le solaire, on a le sentiment que la position européenne n’est pas encore claire”, ajoute le chercheur.
Réindustrialiser la filière solaire européenne
“L’Europe ne peut pas rester les bras croisés tandis que l’industrie de fabrication de panneaux solaires européenne est en train de disparaître,” s’alarmait Johan Lindahl, secrétaire général de l’ESMC (European Solar Manufacturing Council), lobby européen des fabricants de panneaux solaires en mars dernier. Au nom de la filière, il réclame depuis plusieurs mois une hausse des subventions en plus du Net Zero Industry Act, en discussion au parlement. Mais dans le contexte politique et économique actuel, plutôt tourné vers l’austérité budgétaire, les soutiens financiers se débloquent au compte goutte, quand ils existent. En Allemagne, la droite libérale a par exemple bloqué l’introduction de mesures de soutien au solaire dans le budget fédéral. De son côté, l’exécutif européen se refuse à des mesures massives de soutien à court terme pour la filière, selon un document rendu public par Politico, au nom des règles européennes de libre-échange. Il envisage plutôt une réforme structurelle, avec notamment la création d’un PIIEC (Projet Important d’Intérêt Européen Commun) pour le solaire, un système qui permettrait de développer l’industrialisation du secteur et de débloquer plus de subventions des Etats membres.
Le projet de règlement pour une industrie européenne “net-zéro” (NZIA ou Net Zero Industrial Act) prévoit également d’instaurer des mesures pour favoriser les technologies bas-carbone et accélérer l’implantation d’usines. Objectif : fixer à 40% la part des technologies dites “vertes” produites sur le territoire européen d’ici 2030. “Ce n’est pas suffisant” pour l’ESMC, qui réclame des “engagements quantatifs concrets”. Pour Aurélien Boronat, le risque est que “ces mécanismes ne se mettent pas en place suffisamment vite pour soutenir le photovoltaïque” et qu’entre-temps les producteurs européens de panneaux photovoltaïque ne parviennent pas à tenir. En attendant, l’Europe tente, comme elle peut, de contenir la concurrence : la Commission vient ainsi de lancer deux enquêtes sur des subventions chinoises potentiellement irrégulières sur le marché solaire du continent.
En France, face à la crise de la filière, le gouvernement a fait vendredi 5 avril plusieurs annonces par la voix de ses ministres Bruno Le Maire et Roland Lescure. Deux projets de gigafactories – Carbon et Holosolis – vont bénéficier du crédit d’impôt vert “d’un montant inégalé dans les énergies renouvelables de 200 millions d’euros”, précise Bercy. Le ministre de l’Industrie a également annoncé un “Pacte solaire” qui engage pour l’heure 29 développeurs et acheteurs comme Lidl ou encore la SNCF. Le but ? Recourir massivement aux panneaux made in France. L’objectif est d’arriver à 10-15 gigawatts de panneaux fabriqués en France. Un “induscore” sur le modèle du “nutriscore” va également être lancé. En outre, dès cet été, le critère carbone sera renforcé dans les appels d’offres sur le photovoltaïque bâtiment et une prime pour les panneaux bas carbone intégré dans le nouveau guichet tarifaire pour le petit photovoltaïque au sol.
Le Syndicat des Energies Renouvelables et le Syndicat des Professionnels de l’Energie Solaire ont réagi positivement à ces annonces, tout en appelant à “ne pas être naïf”. Par communiqué, ils demandent la mise en place de “mécanismes de bonification des modules européens”, pour soutenir les producteurs.