Publié le 15 février 2025

Le gouvernement chinois a approuvé la construction de ce qui deviendra le plus grand barrage hydroélectrique au monde. Situé sur le haut plateau tibétain, le projet est vivement contesté pour ses impacts sur les populations locales et l’environnement.

Un projet colossal. Il y a quelques semaines, le gouvernement chinois a donné son feu vert pour la construction du barrage hydroélectrique de Motuo, le plus grand au monde, détrônant celui des Trois-Gorges, lui aussi situé en Chine sur le fleuve Yangtsé. La capacité de cette nouvelle infrastructure devrait atteindre 60 gigawatts, soit presque l’équivalent de l’ensemble du parc nucléaire français, grâce à un positionnement stratégique dans la chaîne himalayenne.

Si Pékin est pour l’instant avare de détails, le barrage pourrait entrer en service dès 2030 pour un coût total estimé à 130 milliards d’euros, selon les projections actuelles. Le but : “accélérer le développement d’une énergie propre et lutter contre le changement climatique”, avance le ministère des Affaires étrangères chinois. S’il souhaite par ce biais accélérer sa transition énergétique afin d’atteindre la neutralité carbone en 2060, le gouvernement chinois envisagerait également de vendre une partie de l’électricité produite à certains de ses voisins.

Près de 200 barrages au Tibet

Mais le projet de Motuo suscite de nombreuses inquiétudes, principalement liées à sa localisation. Erigé sur le fleuve Yarlung Tsangpo, ce méga-barrage prendra place sur le haut plateau tibétain. “La Chine considère que l’hydroélectricité issue de cette zone et transférée ensuite vers l’est du pays est un des moyens de réduire sa dépendance aux énergies fossiles, même si les populations locales s’en trouvent affectées”, souligne auprès du Monde Amit Ranjan, chercheur à l’université de Singapour. En réduisant le débit du fleuve, le barrage pourrait fragiliser les moyens de subsistances des communautés, agriculteurs et pêcheurs, en aval du cours d’eau.

D’autant qu’il ne s’agit pas du seul projet hydroélectrique dans les cartons de l’Empire du milieu. Un rapport publié le 5 décembre 2024 par l’ONG International Campaign for Tibet (ICT) comptabilise “au moins 193 barrages” au Tibet, déjà construits ou en projet, depuis 2000. Un chiffre qui pourrait être sous-estimé, les données sur le sujet étant rares ou rendues peu accessibles par Pékin. L’ensemble des barrages permettrait “de produire plus de 270 gigawatts d’énergie hydroélectrique, l’équivalent de la production allemande”, indique l’ICT.

Capture d’écran d’une carte répertoriant les barrages hydroélectriques au Tibet. @ICT

Par leur ampleur et leur nombre, ces ouvrages questionnent le respect des droits des populations locales. Au Tibet, l’ICT estime qu’entre 750 000 et un million de personnes pourraient être déplacées ou expulsées dans le cadre de ce développement exponentiel. Des préoccupations qui ne semblent pas arrêter le gouvernement chinois. Début 2024, plusieurs centaines de Tibétains avaient manifesté pour demander la suspension d’un projet qui menace deux villages et plusieurs monastères. La mobilisation s’est soldée par une violente répression et la détention de centaines de personnes durant plusieurs semaines.

Deux milliards de personnes affectées

Et les conséquences potentielles de ces dizaines de projets ne s’arrêtent pas là. “Ils auront un impact important sur des réserves naturelles protégées, des zones riches en biodiversité. De plus, la région du Tibet où seront construits les barrages est fortement sismique. Donc il y a un vrai risque de tremblements de terre qui entraîneraient des glissements de terrains et des inondations en aval”, alerte Dechen Palmo, une chercheuse tibétaine interrogée par RFI. Mis bout à bout, ces multiples barrages pourraient par ailleurs affecter les ressources en eau de près de deux milliards de personnes.

“Ils vont devenir quoi, les pays en dessous ? Si on ne travaille pas sur un partage de l’eau, c’est une catastrophe humaine qui nous attend”, insiste auprès de FranceInfo, Jacqueline Eustache-Brinio, sénatrice et présidente du groupe d’information internationale sur le Tibet. Concernant le projet de Motuo, Pékin affirme qu’il n’y aura “aucun effet négatif en aval”. Pourtant, l’Inde et le Bangladesh, deux pays traversés par le fleuve sur lequel se trouvera le méga-barrage chinois ont fait part de leurs inquiétudes.

La Chine a été “priée de s’assurer que les intérêts des Etats situés en aval du Brahmapoutre [le nom du fleuve Yarlung Tsangpo dans ce pays, ndr] ne subissent aucun préjudice du fait des activités en amont”, a déclaré le porte-parole du ministre indien des Affaires étrangères, Randhir Jaiswal. L’Inde a “constamment” exprimé “son point de vue et ses préoccupations” concernant les “mégaprojets sur les cours d’eau” en territoire chinois, a rappelé le porte-parole, insistant sur le “besoin de transparence” de la Chine.

Découvrir gratuitement l'univers Novethic
  • 2 newsletters hebdomadaires
  • Alertes quotidiennes
  • Etudes