Publié le 3 juillet 2024

La compagnie aérienne Lufthansa vient de lancer une surtaxe “environnementale” qui pourrait aller jusqu’à 72 euros. Une mesure critiquée par certains qui y voient un coup de com pour surfer sur la vague anti-environnementale. Pour le secteur, il s’agit d’alerter sur le risque de distorsion de concurrence et de recul sur la démocratisation de l’avion.

Des billets d’avion jusqu’à 72 euros plus chers. C’est l’annonce que vient de faire la compagnie allemande Lufthansa, le premier groupe aérien d’Europe. Ce supplément vient d’entrer en vigueur et s’applique à tous les vols à partir du 1ᵉʳ janvier 2025. Il concernera les départs depuis les 27 pays de l’Union européenne, mais aussi du Royaume-Uni, de la Norvège et de la Suisse. Pour Lufthansa, cette mesure vise à couvrir une partie des coûts supplémentaires engendrés par les exigences réglementaires en matière d’environnement. “Le groupe aérien ne sera pas en mesure de supporter seul les coûts supplémentaires croissants résultant des exigences réglementaires dans les années à venir. Une partie de ces coûts prévus pour l’année 2025 doit désormais être couverte par cette nouvelle surtaxe environnementale”, explique la compagnie dans un communiqué, publié le 25 juin.

Dans le viseur de l’Allemand, il y a plusieurs mesures comme l’incorporation obligatoire de carburants aériens durables (“sustainable aviation fuels”, SAF en anglais) pour les vols européens opérés dès 2025, mais aussi la fin des quotas gratuits sur le marché carbone européen ou encore le système de compensation et de réduction des émissions de carbone dans le cadre du programme international Corsia. Des normes qui vont se traduire par une hausse inéluctable des prix.

Distorsion de concurrence

Mais pour Jérôme du Boucher, expert aviation au sein de l’ONG Transport et Environment, “rien ne justifie une telle surcharge”. “72 euros c’est juste pour faire grincer les dents et rallier les usagers à leur cause contre le durcissement des normes environnementales. C’est une pure opération de communication pour faire pression sur les décideurs”, s’insurge-t-il. Selon ses calculs, pour un Paris-Barcelone à 150 euros, le coût des normes environnementales est de l’ordre de quelques euros seulement. “Des hausses tarifaires, les compagnies aériennes en font sans arrêt sans qu’on le sache. Mais en réalité, il est très difficile de savoir si ce surplus est systématiquement imputé car dans la majorité des cas, les compagnies aériennes alignent leurs tarifs sur leurs concurrents pour être compétitifs“, nous explique Nicolas Meunier, responsable Transport au sein du cabinet Carbone 4.

Ce qui est certain, c’est que les compagnies aériennes vont devoir supporter les coûts de la transition énergétique et qu’elles le feront soit en rognant sur leurs marges – ce qui paraît peu probable – soit en répercutant ces coûts sur les billets d’avion, de façon publique ou non. Avant Lufthansa, le groupe Air-France KLM avait été le premier au monde à introduire en 2022 une surcharge SAF, de 1 à 8 euros en classe économique et jusqu’à 24 euros en business long-courrier, afin de répondre aux exigences françaises qui imposaient d’incorporer en moyenne 1% de carburants durables pour les vols au départ de France. Au niveau européen, une nouvelle directive impose un niveau obligatoire de SAF de 2% à partir de 2025, puis 6% à partir de 2030, 20% en 2035 et 70% en 2050.

“L’enjeu est donc de pouvoir disposer de ces carburants à un prix raisonnable”, pointe Laurent Timsit, délégué général de la Fnam (Fédération nationale de l’aviation et de ses métiers), interrogé par Novethic. “S’ils sont trop élevés, le risque est une perte de compétitivité et une distorsion de concurrence par rapport aux autres compagnies, qui ne sont pas soumises à l’obligation d’incorporer des SAF pour les vols hors UE”, précise-t-il. Selon les estimations de la Fnam, l’ordre de grandeur du coût du paquet Fit for 55 européen, qui inclut les quotas carbone et l’obligation de SAF, serait d’un milliard d’euros par an en 2025 pour le pavillon français et de trois milliards d’euros en 2030 sur des coûts globaux de 20 milliards. “Pour que cela soit supportable, il faut des règles équivalentes partout dans le monde ou un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières qui s’applique au secteur aérien”, plaide Laurent Timsit. Nicolas Meunier relativise toutefois les effets de distorsion et pointe qu’il en existe de fait des bien plus importants aujourd’hui : “La compagnie Emirates par exemple paye son kérosène bien moins cher que les autres. La distorsion est énorme, bien plus importante que l’impact des réglementations environnementales actuelles”, pointe-t-il.

Une démocratisation “partielle”

Outre la compétitivité, l’autre risque pointé par le secteur est la remise en cause de la démocratisation du transport aérien, obtenue grâce à une forte baisse du prix des billets d’avion ces vingt dernières années. Toutefois, pour Nicolas Meunier, de Carbone 4, cette démocratisation n’est que “partielle“. “Il faut quand même avoir en tête que 15% des passagers représentent 70% des vols dans les pays développés comme la France ou les Etats-Unis. En outre, quand on baisse les prix, on constate en effet que ça permet aux moins aisés de voyager en avion mais ça permet surtout aux plus riches de voyager encore plus. C’est un raccourci de dire que ça va permettre à tout le monde de prendre l’avion“, défend-il. Selon la dernière enquête de la DGAC, publiée en juin, 43% des Français qui voyagent en avion sont des CSP+.

Pour lui, la décarbonation du secteur doit forcément passer par une augmentation du prix des billets afin de réduire le nombre de vols, une forme de “sobriété contrainte”. Une position également soutenue par Jérôme du Boucher, de T&E. “Ce qui est certain, c’est qu’aujourd’hui, le prix des billets d’avion ne reflète pas l’impact climatique des vols. Il faudrait des mesures fiscales fortes. Par exemple, si la France s’alignait sur le Royaume-Uni, la taxe sur les billets d’avion générerait trois milliards d’euros de recettes qui permettraient de financer des projets d’intérêt général“, estime-t-il.

L’ONG a en outre montré, dans une étude sortie en avril dernier, que les prix payés par les compagnies aériennes pour leurs émissions CO2 étaient “ridiculement bas”. Ainsi Lufthansa a payé, en 2023, 130 millions d’euros dans le cadre du marché carbone européen, au lieu des 676 millions d’euros qu’elle aurait dû payer si tous ses vols étaient soumis à un prix carbone. Autre piste pour renchérir le coût des billets, la mise en place d’une taxe sur le kérosène fossile. A ce jour, un projet de révision de directive est à l’étude au niveau européen. Mais le lobbying contre une telle mesure est puissant.

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