Publié le 8 avril 2024

Selon de nouvelles estimations, publiées le 5 avril, un millier de bâtiments pourraient être touchés par l’érosion côtière d’ici 2028. Tout autant de zones qui pourraient devenir inhabitables, assure Christophe Béchu, le ministre de la Transition écologique. Mais quitter sa maison, de gré ou de force, est un processus complexe. Retour sur les premiers déplacements climatiques de l’Hexagone.

Partir ou rester, c’est le dilemme auquel doivent faire face les sinistrés touchés par les inondations dans le Pas-de-Calais en fin d’année dernière et au début de cette année. Selon les autorités, 6 000 personnes seraient concernées. En janvier, le gouvernement a confirmé la possibilité que l’État rachète certaines maisons abîmées, dans le cadre du fonds Barnier. Les propriétaires concernés pourraient alors toucher des indemnités d’expropriation, la limite étant fixée à 240 000 euros, ou faire l’objet d’un rachat à l’amiable après un accord passé avec la collectivité locale.

Cette situation est loin d’être inédite. Après la tempête Xynthia, qui a frappé la Vendée et la Charente-Maritime dans la nuit du 27 au 28 février 2010, faisant 53 morts, près de 1 400 familles ont été déplacées, de gré ou de force. Isabelle Martin, une habitante de Charron, en fait partie. Le soir de la tempête, sa maison a été noyée dans plus d’un mètre d’eau. Elle et son fils avaient trouvé refuge en hauteur sur un lit mezzanine. Des heures durant, ils ont attendu que l’eau redescende. Un souvenir traumatisant sur lequel elle a accepté de revenir.

“Ça a été la cohue”

“Après le drame, on nous a convoqués dans la salle des fêtes de la commune et sur un écran, on nous a montré une carte du village avec des grosses traces noires. On a mis du temps à comprendre qu’il s’agissait des maisons qui allaient être détruites. Ça a été extrêmement choquant, ça a été la cohue”, se souvient-elle. Très rapidement, elle comprend que sa maison, qu’elle venait de faire construire, est en zone noire et qu’elle va être rasée, tout comme 180 autres logements dans la commune et un millier au total sur le littoral. Après un bras de fer qui dure près d’un an, elle finit par accepter l’indemnisation qu’on lui propose : 220 000 euros.

De quoi racheter une autre maison sur les hauteurs de la commune. “Je voulais absolument rester à Charron. C’était important pour mon fils qu’il puisse rester avec ses copains, dans son école, et qu’on ne soit pas déportés”, explique la mère de famille. Elle se souvient de ses voisins partis qui revenaient régulièrement à Charron pour pouvoir parler de ce qu’ils avaient vécu. “Cela a été dur. Nous avons vécu pendant un an dans une maison ouverte aux quatre vents, mais avec le recul, je pense que j’ai fait le bon choix”, nous confie-t-elle.

La tempête Xynthia a fait 53 morts en 2010, dont 3 personnes à Charron. PIERRE ANDRIEU / AFP

A l’époque, Nicolas Sarkozy, alors président de la République, avait appelé “à tout raser”. Deux ans plus tard, la Cour des comptes avait fustigé dans un rapport cette “précipitation excessive“. “Le coût de rachat des maisons s’est révélé beaucoup trop coûteux et souvent inutile”, ont estimé les Sages qui ont évalué le coût total à 316 millions d’euros, dans les deux départements atlantiques. “La tempête Xynthia c’est la référence de ce qu’il ne faut surtout pas faire”, souffle Marie-Ange Morin, une autre habitante de Charron qui a créé l’Association pour l’urgence de la sauvegarde et l’essor de Charron (Ausec).

Elle milite pour que la commune crée une digue près de chez elle, à l’ouest de la commune. “On fait études sur études depuis 14 ans… Avec tout l’argent dépensé, on aurait déjà pu construire 3 ou 4 digues ! On en vient presque à souhaiter une nouvelle inondation pour que ça bouge”, lance-t-elle. Située en zone jaune (risque d’inondation), elle n’a pas l’intention de partir. “C’est une maison de famille où on se retrouve avec les enfants l’été, on ne veut pas la vendre. On se bat au contraire pour être mieux protégés.”

Racheter pour démolir

Dans les Alpes-Maritimes, à Saint-Martin-de-Vésubie, ce sont 140 bâtiments qui ont été détruits à la suite de la tempête Alex de 2020. Parmi eux, l’immeuble L’Ecureuil de 26 logements, qui n’avait quasiment pas été touché, suscitant l’incompréhension des propriétaires. “Ça a été compliqué au départ, mais ils ont vite compris que c’est le pont qui les avait protégés et que demain ils ne seront plus protégés“, explique à Novethic Alain Jardinet, premier adjoint au maire. Aujourd’hui, 95% des procédures de rachat ont été finalisées. “Reste moins d’une dizaine de cas à régler, poursuit l’élu. Des gens dont la maison ont une très grande valeur sentimentale et qu’ils ont du mal à quitter, et d’autres qui tentent d’empocher le plus d’argent possible.”

Les villas rachetées par la commune vont être détruites et le site va être renaturé. @Mandelieu-la-Napoule

Sur la côte méditerranéenne, la ville de Mandelieu-la-Napoule a quant à elle racheté six villas, avec l’aide de l’Etat, pour plus de 4 millions d’euros afin de les détruire et renaturer les sites. “On peut dire que nous sommes en pôle position sur le sujet”, témoigne Thierry Pelletier, directeur de la communication de la commune. “Après les inondations dramatiques de 2015 et 2019, nous avons souhaité lancer le processus assez rapidement”, nous confie-t-il. Les rachats se sont faits à l’amiable, mais non sans une certaine émotion comme en témoigne Gérard François, l’un des propriétaires, au micro de BFM. “La villa a été habitée par quatre générations. Nous avons discuté en famille et nous avons décidé que c’était la meilleure solution”, raconte-t-il.

500 communes à risque d’ici 2028

Ces situations vont devenir de plus en plus fréquentes à l’avenir, sous l’impact du changement climatique. Selon de nouvelles estimations publiées le 5 avril par le Centre d’études et d’expertises sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema), quelque 500 communes et 1 000 bâtiments pour une valeur de 240 millions d’euros sont considérés à risque d’ici 2028, dont un tiers concernent des logements. “Il y aura des zones qui seront inhabitables” sur le littoral, a déclaré Christophe Béchu sur TF1. Indemnisation, relogement à l’arrière de la commune : “ce sont des solutions qui sont aujourd’hui sur la table”, a ajouté le ministre de la Transition écologique.

@Cerema

Reste que quitter sa maison ne se résume pas qu’à une question financière. Il faut aussi prendre en compte la question de l’acceptabilité sociale. “Quels territoires décide-t-on de protéger ? Et à quel coût ? Est-ce qu’on déplace les populations ? Ce sont des débats qu’il va falloir mener en concertation avec les populations“, pointe Lucie Pélissier, consultante et réalisatrice d’une série de web-documentaires sur les déplacés climatiques. “En outre, la relocalisation ne se résume pas seulement à avoir un toit au-dessus de la tête, à boire et à manger. Il sera aussi important de réfléchir à ce qui fait notre sociabilité, les lieux de culture, l’éducation, les lieux de cultes, et partir des besoins des populations. Car en tant qu’humains nous avons d’autres besoins, d’appartenance, de sécurité…”, liste-t-elle. Des aspects encore bien trop souvent oubliés dans les cas passés de relocalisation.

 

Cet article est le quatrième et dernier épisode d’une série consacrée aux déplacés climatiques. Retrouvez les trois premiers épisodes ici

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