Il est loin le temps où BP voyait la vie en vert. L’énergéticien, qui avait la stratégie la plus ambitieuse du secteur en 2020, assume désormais un changement de cap radical, loin des énergies vertes. “Nous prévoyons de repenser fondamentalement notre stratégie” pour améliorer les retours aux actionnaires, a assuré mardi 11 février son directeur général Murray Auchincloss, qui précise que “l’investissement dans le bas carbone sera recentré”. “Ce sera une nouvelle direction pour BP“, ajoute-t-il. Celle-ci sera dévoilée lors d’une journée dédiée aux investisseurs le 26 février, a promis le patron dans un communiqué.
Le géant pétrolier britannique BP est à la traîne par rapport aux autres majors pétrolières. Il a vu son bénéfice s’effondrer en 2024, en chute de 97%, à 381 millions de dollars, plombé notamment par la baisse des marges de raffinage, des dépréciations d’actifs et des effets comptables défavorables. La production de pétrole et de gaz de BP a augmenté marginalement, de 2% sur l’ensemble de 2024, mais le bénéfice hors éléments exceptionnels, indicateur le plus suivi par les marchés, a reculé : il a perdu un tiers, à 8,9 milliards de dollars.
Des activistes anti-transition
L’entreprise est sous pression d’investisseurs activistes, qui plaident pour des changements importants de stratégie. C’est notamment le cas du fonds Bluebell Capital. L’actionnaire activiste britannique avait écrit au dirigeant de BP il y a un an pour lui demander d’abandonner son objectif de baisse de la production de pétrole et gaz afin de maximiser la valeur actionnariale. Et il n’est plus seul. Lundi 10 février, des informations de presse ont fait état d’une prise de participation “significative” du fonds d’investissement activiste Elliott Management, connu pour demander des changements stratégiques au sein des groupes dans lesquels il investit. Cela a fait bondir de plus de 7% le titre de BP à la Bourse de Londres.
Son arrivée nourrit des spéculations de changements à la tête de BP, d’un transfert de sa cotation aux Etats-Unis voire d’une scission ou d’un rachat, ce qui dope un cours de Bourse à la traîne par rapport à ses rivaux. Mais BP pourrait aller plus loin. Les investisseurs spéculent depuis des mois sur un possible abandon imminent de sa promesse de réduire la production de pétrole de 25% d’ici à 2030 par rapport à ses niveaux de 2019. Un engagement qui avait été déjà revu à la baisse en 2023, passant de 40 à 25%.
“L’agenda d’Elliott reste flou, mais il n’est certainement pas axé sur l’avenir à long terme de BP, a réagi dans un communiqué Mark van Baal, fondateur de Follow This, un collectif d’actionnaires pro-transition. Les activistes à court terme ignorent des risques tels que le pic pétrolier et gazier, les actifs échoués, la taxe carbone, la responsabilité pour les dommages liés au climat et l’innovation perturbatrice.”
Une tendance générale
La major pétrolière britannique entend accélérer dans les énergies fossiles. En décembre, elle avait déjà annoncé réduire “de manière significative” ses investissements dans les énergies renouvelables “pour le reste de la décennie”. Elle oriente désormais ses efforts vers de nouveaux investissements au Moyen-Orient et dans le golfe du Mexique, afin d’augmenter sa production de pétrole et de gaz. En parallèle, BP a vendu ses dix parcs éoliens terrestres américains le mois dernier et s’est retiré du marché. Le groupe a également procédé à la scission de son activité éolien offshore, désormais placée dans une coentreprise avec le japonais Jera.
Le Britannique n’est pas le seul à faire machine arrière sur ses objectifs climatiques pour doper sa rentabilité, c’est aussi le cas de son compatriote Shell. La major a abandonné son objectif de réduction des émissions de 45% à 2035, et revu à la baisse sa stratégie de transition énergétique en vendant des activités d’énergies renouvelables et en abandonnant des projets tels que l’éolien offshore, les biocarburants et l’hydrogène. Le groupe va fusionner ses activités dans le pétrole avec Equinor et mise sur une forte croissance de la demande en GNL dans ses scénarios énergétiques. Le Norvégien a lui aussi fait marche arrière. Le 5 février dernier, Equinor a en effet annoncé à son tour revoir à la baisse ses ambitions dans les énergies renouvelables, dont l’éolien en mer, et à la hausse sa future production d’hydrocarbure – +10% d’ici 2027 pour le pétrole et le gaz – alors que son bénéfice a chuté de 26% en 2024, à 8,8 milliards de dollars. Un niveau qui reste cependant historiquement élevé.
Le français TotalEnergies maintient quant à lui ses objectifs de réduction d’empreinte carbone, mais a annoncé récemment qu’il allait réduire de 500 millions de dollars, de 5 à 4,5 milliards de dollars, la part de ses investissements en 2025 dédiée aux “énergies bas carbone”. TotalEnergies avait aussi indiqué en octobre qu’il comptait encore augmenter sa production de pétrole et de gaz jusqu’en 2030. BP est toutefois le seul à avoir vu une réduction aussi drastique de son bénéfice net parmi les cinq majors pétrolières historiques, qui comprennent, outre les trois groupes européens, les américains ExxonMobil et Chevron dont les bénéfices cumulés ont dépassé l’an dernier 80 milliards de dollars.