Publié le 5 juin 2025

Alors que de nombreux reculs environnementaux ont émaillé le second mandat de la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen, l’objectif climatique à 2040 du continent pourrait être pris en otage. Il est pourtant crucial que l’UE se positionne en amont de la COP30 de Belém.

Viser un objectif de réduction nette des émissions de gaz à effet de serre de 90 à 95%, à l’horizon 2040 par rapport à 1990, est “la seule trajectoire crédible pour atteindre l’objectif de neutralité climatique à 2050″ que s’est fixé l’Union européenne. C’est l’avis publié lundi 2 juin par le Conseil consultatif scientifique européen sur le changement climatique (ESABCC), l’équivalent européen du Haut conseil pour le climat français. “Viser un objectif plus bas ne compromettrait pas seulement les progrès de l’UE vers cet objectif, mais aussi sa durabilité, sa compétitivité à long terme et sa sécurité énergétique en cette période d’incertitude géopolitique“, ajoutent les experts.

Quelques jours auparavant, ce sont quelques 150 entreprises et groupes d’investisseurs, parmi lesquels EDF, Ikea, Unilever ou Leroy Merlin, qui appelaient aussi l’UE à maintenir un objectif climatique à 2040 ambitieux. “90% devraient être considérés comme une ambition minimale et non comme un plafond”, affirment leurs représentants dans une lettre publique adressée au Conseil européen, à la Commission et aux eurodéputés. “Au final, le risque climatique est un risque économique et financier”, préviennent-ils.

Recours aux crédits carbone

L’exécutif européen se trouve embourbé depuis plusieurs mois dans ce dossier, bousculé par un backlash environnemental inédit. En février 2024, la Commission européenne avait proposé de réduire les émissions nettes de gaz à effet de serre de 90% en 2040 par rapport à 1990. Une proposition qui apparaissait comme la moins risquée alors que la gronde contre le Green Deal commençait à monter.

Mais plus d’un an plus tard, aucun vecteur législatif n’a pu être présenté pour consolider cet objectif. Il faut dire qu’il est encore loin de faire l’unanimité parmi les 27 États membres dans un contexte politique marquée par la progression de l’extrême droite. Si la Finlande, les Pays-Bas et le Danemark font partie des pays membres qui soutiennent une réduction des émissions de 90%, l’Italie, la République tchèque ou encore la Pologne – à la tête de la présidence tournante du Conseil de l’UE depuis janvier et qui vient d’élire un eurosceptique – s’y opposent.

Le commissaire européen au Climat, Wopke Hoekstra, tente donc de trouver des compromis. Lors d’une réunion avec des représentants des pays de l’UE fin mai, il a confirmé son intention de présenter un nouvel objectif climatique pour 2040 le 2 juillet prochain. L’objectif de -90% devrait être préservé mais des flexibilités seront proposées, notamment le recours aux crédits carbone internationaux réclamé par la France et l’Allemagne. Les experts de l’ESABCC “déconseillent” pourtant de recourir à ces dispositifs décriés. Leurs recherches montrent que “seulement 16% des crédits émis dans le cadre de divers programmes à ce jour ont effectué de véritables réductions d’émissions”.

Crainte d’une baisse des investissements

Si l’UE se targue d’être en bonne voie pour atteindre ses objectifs climatiques à 2030 – 54% de réduction contre 55% prévus – l’objectif 2040 pourrait ainsi être pris en otage. Depuis le début de son nouveau mandat, la Commission a déjà reculé sur plusieurs textes sous couvert de simplification : déforestation, devoir de vigilance, reporting durable des entreprises, émissions de CO2 pour le secteur automobile, etc. Et les investissements européens en faveur du climat marquent le pas, selon une nouvelle étude publiée mardi 3 juin par I4CE. Ils n’ont augmenté que de 1,5% en 2023 sur un an. Et les premières données recueillies pour 2024 laissent craindre “une baisse des investissements“, estime cet institut de recherche. Les premières projections suggèrent en effet que des secteurs clés comme l’énergie éolienne, la rénovation des bâtiments et les véhicules électriques risquent de décliner.

Alors que l’UE a déjà raté l’échéance fixée en février pour présenter son objectif à 2035 – qui doit découler de celui de 2040 – en prévision de la COP30 de Belém, les experts s’inquiètent du message envoyé au reste du monde à l’approche de ce rendez-vous crucial pour le climat. Dans une interview au Monde, Ana Toni, la présidente de la COP30, a qualifié le potentiel objectif européen de 90% de “gage de stabilité pour la diplomatie climatique”. “Plus l’UE attend, plus cela devient difficile d’expliquer sur la scène internationale pourquoi ils font traîner”, souligne également Linda Kalcher, directrice générale du centre de réflexion Strategic Perspective. Le risque de ce flottement ? “Que tout le monde utilise l’Union européenne comme excuse pour être également en retard”, met-elle en garde.

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