Les grandes entreprises sont encore très en retard en matière d’engagement climatique. C’est en substance le message à retenir du rapport du Corporate Climate Responsibility Monitor 2024 (CCRM), publié il y a quelques jours par le NewClimate Institute et Carbon Market Watch, deux organismes spécialisés sur les transitions climatiques. Cette année, le CCRM a analysé les engagements climatiques pris par plus de 50 multinationales dans différents secteurs (énergie, mode, agro-alimentaire, automobile, numérique ou encore industrie), et étudié leur alignement avec les objectifs climatiques de l’Accord de Paris. Et le constat est alarmant.
“Les dizaines d’entreprises analysées par le CCRM ne sont ni individuellement ni collectivement sur la bonne voie pour des réductions d’émissions compatibles avec un scénario 1,5°C”, explique ainsi Sabine Frank, directrice exécutive de Carbon Market Watch. Comme le rappelle le GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), il faudra réduire nos émissions mondiales de gaz à effet de serre de 43% d’ici 2030 pour espérer maintenir le climat sous la barre de 1,5°C de réchauffement climatique. Or, pour Frederic Hans, expert au NewClimate Institute : “seules quelques entreprises s’engagent sur des objectifs pour 2030 qui reflètent les dernières avancées scientifiques en matière de climat et présentent des stratégies concrètes pour les atteindre”.
7 bons élèves
La valeur médiane des objectifs absolus de réduction d’émissions de gaz à effet de serre atteint 30% en moyenne pour l’ensemble des entreprises étudiées entre 2019 et 2030. Parmi les mauvais élèves : Saint-Gobain, Holcim, Amazon ou Arcelor Mittal, qui affichent des objectifs de réduction inférieurs à 20%. En milieu de tableau, on trouve Microsoft, Google, ou Novartis autour de 40%. Seules 7 compagnies (GSK, Iberdrola, Enel, H&M, Accenture, Ikea, Apple) affichent des objectifs de réduction supérieurs à 50% d’ici 2030.

En outre, les grandes entreprises manquent de transparence et de fiabilité dans leurs engagements climatiques. Les objectifs “net zero” de la moitié environ des entreprises évaluées ne sont ainsi pas clairs ou omettent tout simplement une partie des émissions de l’entreprise, notamment lorsqu’il s’agit d’émissions indirectes de la chaîne de valeur (scope 3). Seul point positif : les entreprises étudiées recourent moins que les années précédentes à la communication autour de la “neutralité carbone” de leurs produits ou opérations, notamment grâce “aux campagnes inlassables des militants et des écologistes, et aux réglementations plus strictes dans certaines parties du monde comme l’Union Européenne”, indique le rapport.
Flou, ambiguïtés, solutions douteuses
Les stratégies climatiques des entreprises sont aussi largement pointées du doigt par le CCRM. On constate ainsi “un écart important entre des objectifs parfois ambitieux et l’absence de mesures sous-jacentes” pour les atteindre. Plans de réduction flous, manque de moyens accordés à la transition climatique, mise en œuvre insuffisante : “plus de la moitié des entreprises reçoivent une note d’intégrité faible ou très mauvaise pour leurs plans de réduction des émissions”, analyse ainsi le rapport. Seules quatre entreprises (Danone, Enel, Iberdrola et Volvo) intègrent les mesures nécessaires pour passer des promesses à la mise en œuvre effective de leur stratégie climatique.
Dans le secteur de la mode, aucune des cinq entreprises étudiées – H&M, Inditex (Zara), Fast Retailing (Uniqlo), Adidas, Nike – ne présente de plan convaincant de réduction des émissions, et “aucune ne s’engage à réduire la surproduction ou à s’éloigner du modèle économique de la fast-fashion”, précisent les auteurs. Dans le secteur agro-alimentaire, c’est l’usage généralisé de la “séquestration du carbone dans les sols” qui est pointé du doigt. Ce concept dont l’efficacité reste difficile à mesurer est utilisé par les entreprises du secteur pour “cacher un manque d’engagement et de progrès vers les objectifs de transitions agricoles nécessaires pour réduire les émissions”, fustige le rapport.
Plus généralement, l’analyse du CCRM montre que les grandes entreprises internationales s’appuient encore “fortement” sur “sur des solutions douteuses ou discutables, telles que l’élimination (mal définie) du carbone, le captage et le stockage du carbone, les certificats d’énergie renouvelable ou la bioénergie” pour minimiser les efforts réels à mener en matière climatique. Face à ce retard des entreprises, les auteurs appellent à une plus grande réglementation et un cadre normatif mieux défini pour l’action climatique des entreprises.