Alerte rouge. 16 départements français viennent de passer en alerte rouge canicule ce mardi 1er juillet, alors que le pays et une partie de l’Europe de l’Ouest enchaînent les vagues de chaleur depuis le milieu du printemps. Avec le réchauffement climatique, ces épisodes caniculaires extrêmes sont en train de devenir une nouvelle normalité, augmentant significativement les risques sanitaires et économiques. Ces risques, la France les avaient expérimentés dès 2003, lors de l’épisode caniculaire historique durant lequel entre 15 000 et 20 000 personnes avaient perdu la vie. Le pays avait alors mis en place de nouvelles mesures pour lutter contre les risques caniculaires, avec notamment un plan de vigilance canicule, déployé au niveau national et dans les territoires. Pourtant, malgré les canicules qui se multiplient ces dernières années, et malgré les records battus en 2019 et en 2022, la France ne semble toujours pas prête à affronter sa nouvelle réalité climatique.
Pendant les épisodes caniculaires des 20 dernières années, la France a ainsi encore enregistré une surmortalité significative. Comme en 2003, les Ehpad et centres d’hébergement pour les personnes âges, ont subi de plein fouet la chaleur, tout comme les systèmes hospitaliers, notamment en 2019, 2022, et même en 2023. Selon une étude publiée par Santé Publique France en juin, la canicule estivale de 2023 a ainsi provoqué 16 000 passages supplémentaires aux urgences, et près de 5 000 décès supplémentaires. Or les systèmes de santé et les infrastructures liés au grand âge peinent encore à faire face aux difficultés climatiques. De nombreux hôpitaux français, notamment les plus anciens, sont encore mal équipés pour gérer les vagues de chaleur : climatisations manquantes ou peu efficaces, absence de ventilateurs, mauvaise isolation thermique des bâtiments…
Infrastructures maladaptées
Un rapport publié par le cabinet d’experts Climate Risk Group montrait ainsi que plus de 100 hôpitaux français seraient à risque de fermeture face à la multiplication des événements météorologiques extrêmes, dont les canicules. Le rapport publié en 2023 par la Mairie de Paris sur l’adaptation de la capitale au réchauffement climatique montrait que “les groupes froids d’un hôpital, situés en extérieur, ont un seuil de fonctionnement à 43°C”. Au-delà, c’est la panne, et la surchauffe assurée. Le Plan national d’adaptation aux changements climatiques, publié avec beaucoup de retard par le gouvernement l’an dernier, prévoit de lancer des analyses de vulnérabilité destinées à identifier les hôpitaux les plus à risque… Mais en attendant, les investissements tardent et les infrastructures restent vulnérables.
Le problème est d’ailleurs le même dans l’ensemble du secteur du bâtiment. En 2024, le Haut conseil pour le climat (HCC) constatait ainsi dans son rapport annuel le “retard” de la France en matière de rénovation thermique des bâtiments. En cause ? Le manque d’investissements, les errements autour de MaPrimeRenov’ et les difficultés à structurer la filière de la rénovation depuis plusieurs années. Résultat, un logement sur trois en France est une “bouilloire thermique”. De nombreuses infrastructures sensibles sont également très vulnérables face aux chaleurs extrêmes, dont les écoles. Selon un rapport EcoAct publié en 2023, près de 7 200 écoles maternelles, notamment dans le sud de la France, seront soumises à des températures au-delà de 35°C, soit une population particulièrement vulnérable de 1,3 million d’enfants de 2 à 5 ans.
Quant à la multiplication des climatisations dans le parc de bâtiments, elle constitue une solution partielle pour faire face aux canicules, mais aussi une maladaptation, puisqu’elle accentue les îlots de chaleur, notamment en milieu urbain. L’adoption de véritables mesures d’adaptation patine. La végétalisation des espaces urbains en particulier, progresse lentement, et ce alors que Santé Publique France constate que “le risque de décéder à cause d’une chaleur exceptionnelle est 18% plus élevé dans les communes les moins arborées”. Dans les transports, même chose. Sur son site, la SNCF indique les mesures prises depuis quelques années : entretien des voies ferrées, pour éviter les feux de talus, remplacement ou adaptation des équipements (caténaires, rames), surveillance des équipements électriques, à risque de surchauffe. Au sein de l’entreprise, on parle même de “tropicalisation” des infrastructures. Comprendre, adapter les équipements à un climat désormais tropical. Malgré tout, les trains sont d’ores et déjà contraints de circuler au ralenti lors de fortes chaleurs, l’acier des rails pouvant se déformer, alors qu’il peut avoisiner les 60°C lors des épisodes de canicule.
Les travailleurs toujours plus exposés
Le monde du travail a lui aussi bien du mal à s’adapter. Chaque année depuis 2020, une dizaine d’accidents du travail mortels possiblement liés à la chaleur sont identifiés par Santé Publique France et le Haut-commissariat au plan estime que jusqu’à 36% des salariés français seraient exposés aux risques liés à la chaleur. Pourtant, le Code du travail ne fixe toujours pas précisément les conditions de chaleur qui constituent un risque pour la santé des travailleurs. Si l’INRS (Institut national de recherche et de sécurité) indique qu’une température supérieure à 33°C constitue un risque, l’appréciation est dans les faits laissée aux employeurs. Dans certains secteurs plus exposés, le sujet en revanche avance : il y a un an, presque jour pour jour, un décret faisait des canicules un motif de chômage technique pour les ouvriers du bâtiment. Les employeurs doivent ainsi, en cas d’alerte canicule orange ou rouge, faire cesser les chantiers, et les salariés perçoivent une indemnité équivalente à 75% de leur salaire.
Mais pour les autres salariés, c’est plus flou. Un décret entrant en vigueur ce 1er juillet contraint les employeurs à un certain nombre d’obligations : donner accès à l’eau potable, adapter les horaires, suspendre les tâches pénibles aux heures les plus chaudes, adapter les postes de travail… Le Code du travail impose aussi d’identifier les risques liés à la chaleur et aux canicules, et de dialoguer sur ce sujet avec les représentants du personnel et de former les salariés. Mais en pratique, difficile de quantifier l’exposition au risque, et de faire appliquer ce droit, notamment dans des entreprises peu sensibilisées aux questions climatiques.
Alors en attendant que la France, ses territoires et son économie s’adaptent à cette nouvelle réalité climatique, chacun se débrouille. Et si les ventes de climatiseurs et ventilateurs explosent, il est certain que cela ne suffira pas à protéger les Français. Selon le Ministère de la transition écologique, la fréquence des épisodes caniculaires pourrait être multipliée par 5 d’ici 2050, et par 10 d’ici 2100.