Publié le 11 juin 2025

Depuis plusieurs années, les lobbys des industries de la pêche œuvrent en coulisses contre les normes de protection des océans. C’est ce que révèle un rapport d’experts publié par Influence Map, qui éclaire les pratiques d’influence des industriels, en pleine Conférence internationale sur les océans.

La 3e conférence internationale sur les océans bat son plein à Nice. Le sommet doit aboutir d’ici vendredi 13 juin à l’adoption de “La Déclaration de Nice”, en écho aux Accords de Paris. Il s’agira d’une déclaration politique non contraignante. Difficile d’espérer aller plus loin. En cause notamment, la forte pression exercée par les représentants d’intérêt des industries de la mer.

Une nouvelle étude publiée il y a quelques semaines par les experts d’Influence Map, organisation spécialisée dans l’analyse des politiques de lobbying industriels, démontre que les grandes entreprises et associations industrielles du secteur des produits de la mer s’opposent systématiquement aux politiques visant à réguler l’exploitation des océans, et influencent le débat politique pour éviter les réglementations qui éviteraient les dommages aux écosystèmes océaniques.

“Le pouvoir des groupes intersectoriels” contre la protection des océans

Influence Map a ainsi analysé les stratégies d’influence déployées par une douzaine d’organisations professionnelles et 30 des plus grandes entreprises du secteur de la pêche, de l’aquaculture ou de l’exploitation marine à travers le monde. Ses résultats montrent que, si les acteurs du secteur mettent publiquement en avant une volonté d’aligner leurs activités avec les objectifs fixés par l’accord cadre sur la biodiversité de Kunming-Montréal, ils œuvrent au contraire en coulisse contre les principales mesures visant à protéger les écosystèmes marins. Sur 30 entreprises, une seule, le groupe italien Bolton (qui détient notamment la marque Saupiquet) a une politique de lobbying partiellement alignée avec les objectifs de protection des océans. Au contraire, le géant américain Cargill, les groupes japonais Nissui ou Mitsubishi, le canadien Cooke ou encore les norvégiens SalMar ou Mowi affichent des scores négatifs en matière de lobbying pour les océans.

Les auteurs dénoncent également “le pouvoir des groupes intersectoriels influents pour retarder et s’opposer aux politiques climatiques et de biodiversité”. Les acteurs privés s’activent notamment depuis plusieurs années contre les cadres normatifs visant à étendre les protection des aires marines protégées ou à développer des restrictions sur l’usage des pratiques de pêche les plus nocives pour les écosystèmes, comme le chalutage en eaux profondes, particulièrement dévastateur. Les industriels poussent également pour éviter tout durcissement du cadre réglementaire sur l’aquaculture, un secteur en expansion croissante et qui génère de plus en plus de pollutions dans les zones marines.

Pressions sur les organisations environnementales

En Europe, le consortium européen des industries de la pêche, Europêche, s’est ainsi opposé à l’encadrement du chalutage en eaux profondes, arguant notamment que “le chalutage de fond est le seul moyen viable de capturer de nombreuses espèces clés”. Un argument récemment repris par le président français Emmanuel Macron, qui déclarait lors d’un débat télévisé : “sans chalutage en eaux profondes, vous n’auriez pas de coquilles Saint-Jacques, ni de langoustines”. L’organisme a ainsi poussé, à travers plusieurs communiqués et opérations d’influence depuis 2020, contre l’objectif européen de protéger 30% des aires marines de l’Union européenne, tout en réclamant à plusieurs reprises que les pratiques de pêche restent autorisées dans ces aires dites “protégées”.

Une enquête menée en 2017 par l’Observatoire de l’Europe industrielle avait également mis en lumière les pratiques illégales des entreprises de la pêche pour influencer les débats sur les quotas de pêche dans l’Union Européenne. Des lobbyistes avaient ainsi utilisé illégalement des laissez-passer réservés à la presse pour accéder aux bâtiments du Conseil de l’Europe et influencer les négociations. Depuis, le lobbying des acteurs du secteur n’a pas faibli. Ces dernières semaines, des acteurs du monde associatif font état de pressions exercées par les industriels du secteur sur les organisations environnementales. L’association Bloom, qui œuvre pour réguler le secteur, affirme ainsi avoir subi à plusieurs reprises des opérations d’intimidation menées par les lobbyistes du secteur. Le domicile de sa dirigeante Claire Nouvian a également été saccagé, quelques jours avant l’ouverture de la conférence sur les océans.

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