L’agriculture au-dessus de la protection de l’environnement ? C’est en tout cas ce vers quoi semble tendre le nouveau projet de loi agricole. Décalé plusieurs fois depuis près d’un an, notamment face à la colère qui a traversé le monde agricole, il a été présenté ce mercredi 3 avril en Conseil des ministres. Le projet prévoit notamment de donner à l’agriculture, la pêche et l’aquaculture le statut de secteur “d’intérêt général majeur”, alors que la protection des écosystèmes est seulement considérée comme “d’intérêt général” par le Code de l’Environnement.
Si le cabinet du Ministre de l’agriculture, Marc Fesneau, assure que l’objectif est “de placer l’agriculture au même niveau que l’environnement”, certains y voient une manière de donner à l’agriculture plus de poids dans la balance des intérêts en cas de conflit avec la protection de l’environnement. Par communiqué, l’association Agir pour l’Environnement dénonce ainsi une mesure qui “permettra de faire primer les intérêts agro-industriels cyniques sur l’urgence environnementale.”
Des reculs sur la protection environnementale
Le reste du projet de loi prévoit également d’acter plusieurs reculs en matière de protection des écosystèmes. L’article 14 prévoit ainsi de diminuer les réglementations visant à préserver les haies dans les exploitations agricoles. Un rapport du Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux, affilié au Ministère de l’Agriculture, rappelait pourtant en 2023 l’utilité de ces espaces, et “les nombreux services qu’ils rendent à l’agriculture et au territoire” (amélioration du rendement agricole, protection contre l’érosion des sols, stockage de carbone, préservation de la biodiversité, régulation de l’eau…).
La France a déjà perdu près de 70% de ses haies
Or, la France a déjà perdu ces dernières décennies près de 70% de ses haies, et continue d’en perdre près de 20 000 kilomètres par an. Autre mesure phare : le projet de loi prévoit d’introduire une “présomption d’urgence” pour des installations de retenues d’eau ou méga-bassines, dont l’impact environnemental et l’intérêt agricole sont controversés, mais aussi pour l’installation ou l’extension de bâtiments d’élevage intensif. Objectif, selon le cabinet du ministre : “redonner de la visibilité” aux agriculteurs et aux éleveurs, en réduisant les délais des possibles recours juridiques contre ces projets. Le gouvernement prévoit également de réduire les peines encourues en cas d’atteintes à l’environnement par les exploitants agricoles.
Ces nouvelles concessions s’ajoutent aux reculs environnementaux concédés en janvier et février suite aux mouvements de protestation agricole, et sont globalement contestés dans le monde associatif et paysan. Du côté du WWF, on fustige par communiqué un texte qui consacre “l’opposition stérile entre écologie et agriculture.” Pour Sandy Olivar Calvo, chargée de campagne Agriculture à Greenpeace, “ces mesures sacrifient l’environnement et aggraveront les problèmes rencontrés par les agriculteurs et agricultrices”. “Ce sont des cadeaux de très court terme pour l’agriculture, mais des choix collectifs que l’on va regretter dans les années à venir”, analyse dans Le Monde Mathieu Courgeau, éleveur en Vendée et coprésident du collectif Nourrir. Le texte répond en revanche à plusieurs revendications de la FNSEA, syndicat majoritaire, et certains représentants régionaux du syndicat agricole se sont félicités des mesures proposées.
Une réforme agricole sans agro-écologie
Les autres mesures du projet visent principalement à favoriser l’installation et de la transmission des exploitations agricoles. Un sujet essentiel à l’heure où le monde agricole peine à recruter, et où un tiers des agriculteurs devrait atteindre l’âge de la retraite dans les prochaines années. Un “mur démographique” selon le cabinet du ministre, qui oblige à aller “chercher des bras et des compétences pour renouveler les générations.” Aucun objectif chiffré n’est annoncé dans le projet de loi, mais il prévoit des mesures pour inciter les jeunes à se tourner vers ces carrières, avec notamment la création d’un bachelor agricole de niveau bac+3. Pour faciliter l’installation, le projet prévoit notamment l’instauration d’un guichet unique pour effectuer les démarches, géré par les chambres d’agriculture.
Des mesures considérées là encore comme insuffisantes ou mal calibrées par une partie des associations et du monde agricole. Pour l’association Terre de Liens, qui réunit plusieurs fédérations d’agriculteurs, notamment issus de l’agriculture paysanne et de l’agriculture bio, la réforme “rate sa cible”. Le collectif dénonce un projet qui risque de renforcer la “dynamique actuelle de concentration des terres et de renforcement de l’agriculture industrielle”. De son côté, le collectif Agir pour l’Environnement dénonce un projet qui vise à centraliser et standardiser l’agriculture, et “consacre une trajectoire d’industrialisation et de négation de l’urgence environnementale”.
Le projet de réforme ne comprend par ailleurs aucune proposition sur le revenu des producteurs, ni aucune mesure concrète sur la transformation agro-écologique et son adaptation à la crise écologique et climatique. Il ne prévoit pas non plus de systèmes de soutien pour transformer les pratiques agricoles, et ce, alors que plusieurs rapports récents soulignent l’urgence de concilier agriculture et écologie.