Ce sera sans doute un moment aussi charnière que l’a été la publication, en 2019, de la toute première évaluation sur l’état de la biodiversité dans le monde. Les 17 et 18 décembre prochains, l’IPBES, la Plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques, aussi appelé le “Giec de la biodiversité”, publiera deux rapports majeurs qui s’inscrivent dans la lignée du rapport de 2019. “Une fois qu’on a le diagnostic, il s’agit désormais de voir ce que l’on peut faire”, résume Hélène Soubelet, directrice de la Fondation pour la recherche sur la biodiversité (FRB), lors d’une conférence de presse.
En 2019, le rapport de l’IPBES avait fait l’effet d’un choc, révélant d’une part au grand public l’existence de cette plateforme peu connue, mais surtout l’ampleur de la perte de biodiversité. Un sujet longtemps mis au second plan, derrière la question climatique. On apprenait alors qu’un million d’espèces, sur les quelque huit millions estimées sur la planète, sont menacées d’extinction. Et que 75% de l’environnement terrestre et 40% de l’environnement marin présentent des “signes importants de dégradation”.
“L’un des projets les plus ambitieux”
Cinq ans plus tard, et deux ans après l’adoption du cadre mondial de Kunming-Montréal pour la biodiversité, l’heure est donc aux solutions. Le premier des deux rapports, publié le 17 décembre, est baptisé Nexus. Il vise à analyser les interdépendances entre cinq éléments – la biodiversité, l’eau, l’alimentation, la santé et le changement climatique – et à montrer les impacts négatifs et positifs qu’il y a à agir sur un seul de ces éléments. S’appuyant sur environ 6 500 références, il a été préparé par 165 experts, le groupe le plus important jamais mobilisé au sein de l’IPBES, y compris pour l’évaluation de 2019.
“L’évaluation Nexus est l’un des projets les plus ambitieux jamais entrepris par la communauté de l’IPBES, offrant un éventail sans précédent d’options de réponse concrètes, en visant à maximiser les bénéfices pour la biodiversité, l’eau, l’alimentation, la santé et les systèmes climatiques”, explique la Professeure Paula Harrison, du centre britannique d’écologie et d’hydrologie, coprésidente de l’évaluation, qui sera la première synthèse mondiale approfondie sur les interconnexions entre ces cinq crises.
“On a souvent tendance à travailler sur chacune d’entre elles, en silo. L’objectif est de casser cette approche et d’évaluer différentes solutions comme l’éolien offshore par exemple, la baisse de la consommation de viande, ou encore de l’utilisation de pesticides en regardant à chaque fois les impacts sur les autres éléments du Nexus, afin d’arriver au meilleur compromis global”, précise le Dr Anne Larigauderie, secrétaire exécutive de l’IPBES. “Le rapport permet par exemple de montrer que certaines solutions technologiques pour atténuer un peu le changement climatique vont être globalement perdantes pour la planète“, ajoute Hélène Soubelet, la directrice de la FRB, qui avoue avoir placé “beaucoup d’espoir” dans ce document. Différents scénarios et trajectoires seront présentés ainsi que le coût des options et surtout de l’inaction.
“Nouveaux récits”
Le second rapport est également prometteur puisqu’il porte sur les changements transformateurs. Il vise à comprendre et identifier les facteurs influençant la société humaine, tant au niveau individuel que collectif, qui permettront d’induire des changements transformateurs en faveur de la biodiversité. Le rapport d’évaluation mondiale de l’IPBES de 2019 avait révélé le besoin d’une “réorganisation fondamentale à l’échelle du système”, y compris de nouveaux paradigmes. “Pour ce faire, nous devons mieux comprendre les obstacles“, précise le professeur Arun Agrawal, de l’université du Michigan et coprésident du rapport.
“Il peut s’agir de la déconnexion entre l’humain et la nature, la domination de l’humain sur la nature, la concentration du pouvoir et des richesses qui est une grande cause de la perte de biodiversité”, énumère le Dr Anne Larigauderie. L’étude comprendra aussi une partie sur la façon dont les différents groupes sociaux envisagent un monde durable et ce qu’ils pourraient modifier et des études de cas sur les potentiels transformateurs. “C’est un travail nouveau sur comment modifier les normes sociales et imaginer de nouveaux récits, explique la secrétaire exécutive de l’IPBES. Le but étant de promouvoir des débats de société sur ces questions”.
Ces deux rapports, qui seront publiés après la COP16 sur la biodiversité et la COP29 sur le climat, doivent encore être approuvés par les 147 Etats membres de l’IPBES. Ils viendront les accompagner dans la mise en œuvre du Cadre mondial pour la biodiversité de Kunming-Montréal, de l’Accord de Paris sur le climat ou encore des objectifs de développement durable. “Ils présenteront des choses extrêmement intéressantes et parfois même disruptives”, lance Hélène Soubelet.