Publié le 7 février 2025

Dans une décision historique, la Cour européenne des Droits de l’Homme vient de condamner l’Italie pour son inaction face à la pollution. L’affaire concerne la pollution de la région de la Terre des Feux, en Campanie, et constitue, selon la juridiction, une “violation du droit à la vie” des populations.

Un Etat commet-il une faute s’il n’agit pas face à une pollution dangereuse pour la santé des citoyens ? Oui, vient de répondre la Cour Européenne des Droits de l’Homme. Dans un jugement rendu fin janvier, la CEDH vient de reconnaître que l’Etat italien avait commis une violation du droit à la vie, reconnu par l’article 2 de la Convention Européenne des droits de l’homme, pour ne pas avoir suffisamment agi face à la pollution de la “Terre des feux”, une région de la Campanie, dans le sud du pays.

La région, connue depuis les années 1980 pour être un site d’enfouissement illégal de déchets toxiques, est affectée par des taux anormalement élevés de cancers, liés à la pollution locale. Or, face à cette crise environnementale et sanitaire, la Cour constate que l’Etat italien a manqué à son “obligation de réagir avec diligence […] et de prendre les mesures pour protéger la vie des requérants”, en ne mettant pas en place des mesures adaptées pour réduire la pollution dont il avait connaissance. Une décision “révolutionnaire” commente sur LinkedIn, Natalia Kobylarz, avocate principale à la Cour européenne des droits de l’homme.

Vers de nouveaux contentieux face à l’inaction des Etats

“La Cour n’avait jusqu’ici reconnu ce type de violation que dans un cas d’explosion lié à une activité industrielle dangereuse ou d’incidents résultant de catastrophes naturelles ayant conduit à la mort d’individus” explique à Novethic Brice Laniyan, juriste pour Notre affaire à tous. Mais cette fois, la CEDH est allée plus loin, en reconnaissant que l’inaction face à une pollution diffuse et généralisée au sein d’un territoire est également une violation du droit à la vie. “La Cour de Strasbourg a constaté que le déversement illégal et totalement non réglementé, souvent accompagné d’incinération, et l’enfouissement de déchets dangereux étaient des activités intrinsèquement dangereuses qui présentent un risque pour la vie humaine”, explique de son côté Natalia Kobylarz.

Pour la CEDH, “en raison de l’absence d’une réponse systématique, coordonnée et structurée au problème”, l’Etat, qui connaissait pourtant l’étendue de la pollution, ne s’est pas conformé à ses obligations envers les citoyens. Pour l’avocate Natalia Kobylarz, la Cour reconnaît que les autorités “avaient le devoir de protéger les populations affectées, même s’il n’y avait aucune certitude sur les effets précis que la pollution pouvait avoir sur leur santé”, compte tenu des risques réels auxquels faisaient face les populations. Une décision qui pourrait faire date dans la jurisprudence sur la justice environnementale. “Cette décision ouvre la porte à des contentieux face à d’autres cas de pollution grave s’étant développés du fait de l’inaction prolongée d’un État. On peut penser notamment aux PFAS”, analyse ainsi Brice Laniyan de Notre affaire à tous.

Une jurisprudence sur la crise écologique et les droits humains

La CEDH a ainsi condamné l’Italie à mettre en place, dans un délais de deux ans, des mesures adéquates pour faire face à la situation critique de la région. La Cour “souligne la nécessité d’une stratégie globale réunissant les mesures existantes ou envisagées, un mécanisme de suivi indépendant et une plateforme d’information publique”, ajoute Natalia Kobylarz.

La décision de la CEDH dans l’affaire “Terre des feux” prolonge celle que l’institution avait prononcée il y a moins d’un an, dans l’affaire “Klimaseniorinnen”. Le 9 avril 2024, la Cour européenne avait condamné la Suisse pour inaction climatique, considérant que le manque d’engagements du pays violait les droits à la vie privée des citoyennes suisses requérantes. Une jurisprudence faisant le lien entre les crises écologiques et les droits humains est donc en train de se consolider au niveau européen, ouvrant la voie à des actions nouvelles face à des Etats ne respectant pas leurs engagements en la matière.

Les juges ont en revanche “refusé de considérer que des associations puissent avoir qualité pour agir pour représenter les adhérents” explique Brice Laniyan. Ce qui pourrait rendre difficile l’accès des citoyens aux tribunaux, en privant les organisations environnementales de leviers juridiques face à l’inaction des Etats. “Loin de clore le débat, cette décision ne fait que le rendre plus explicite. Il reviendra à la Cour de prendre une position nette sur cette question“, conclut Brice Laniyan, alors que celle-ci sera amenée à se prononcer dans les prochains mois sur plusieurs affaires analogues.

Découvrir gratuitement l'univers Novethic
  • 2 newsletters hebdomadaires
  • Alertes quotidiennes
  • Etudes