C’est un tournant historique sous la VIe République. Dimanche 20 juillet à 17h50, la pétition contre la loi Duplomb a franchi le seuil symbolique du million de signataires. Une vague citoyenne survenue à peine dix jours après le lancement du texte par Éléonore Pattery, étudiante de 23 ans en master RSE. Sa demande : l’abrogation immédiate de la loi, qu’elle qualifie d’”aberration scientifique, éthique, environnementale et sanitaire”.
Adoptée à la hâte le 8 juillet 2025, la loi Duplomb entendait répondre à la crise agricole de l’hiver 2024. Au cœur du texte : la réautorisation de l’acétamipride, un pesticide néonicotinoïde interdit en France depuis 2020, mais encore autorisé à l’échelle européenne jusqu’en 2032. De quoi susciter l’indignation des ONG aux citoyens, en passant par des personnalités publiques telles que Pierre Niney, qui ont massivement relayé la pétition sur les réseaux sociaux.
Un succès citoyen en plein backlash écologique
“Le succès de cette pétition montre que le backlash écologique concerne le personnel politique, mais pas la population“, réagit auprès de Novethic Anne Bringault, directrice des programmes du Réseau Action Climat. La loi Duplomb s’inscrit en effet dans une série de reculs climatiques récents : abandon de certaines zones à faibles émissions (ZFE), relance de l’autoroute A69, affaiblissement des régulations européennes sur la responsabilité sociale des entreprises (CSRD)… Une tendance qui inquiète les associations, pour qui cette dynamique législative va à contre-courant de l’urgence climatique. La pétition apparaît dès lors comme “un vrai démenti de l’existence d’un désintérêt de l’opinion publique face à des mesures anti-santé et anti-écologie”, comprend Eva Morel, secrétaire générale de Quota Climat.
Ce succès n’est pas sans rappeler celui de l’Affaire du siècle en 2019. Cette pétition avait récolté plus de 2 millions de signatures là aussi en un temps record. Elle dénonçait l’inaction climatique de l’état dans un contexte des marches pour le climat. L’Affaire du siècle était apparue comme un catalyseur du réveil écologique des Français. Le contexte est aujourd’hui très différent. Alors qu’en 2019 l’écologie était remontée dans un des sujets forts de l’agenda politique, elle est aujourd’hui tombée aux oubliettes. La mobilisation citoyenne se concentre ici uniquement sur un texte de loi mais elle “prouve un sursaut”, selon les mots d’Arnaud Gossement, avocat en droit de l’environnement.
Au-delà du symbole, la mobilisation populaire pourrait avoir un impact institutionnel. Le cap des 500 000 signatures – seuil déclenchant une possible inscription à l’ordre du jour parlementaire – a été atteint en un temps record. La Conférence des présidents de l’Assemblée nationale, qui regroupe les chefs de groupe et les présidents de commissions, pourrait acter un débat public dès la rentrée. La présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, s’est déjà dite favorable à une telle discussion.
Le conseil constitutionnel, dernier rempart à la loi ?
Sur le plan juridique, les opposants ne désarment pas. Une saisine du Conseil constitutionnel est en cours. “Elle comporte des arguments extrêmement sérieux”, juge auprès de Novethic Arnaud Gossement. “Si la pétition permet à l’écologie de retrouver une expression, c’est le Conseil constitutionnel qui peut vraiment freiner la course vers la loi Duplomb”, ajoute-t-il.
Parallèlement, plusieurs ONG en appellent au Président de la République pour empêcher la promulgation de la loi. “Adoptée sans réels débats à l’Assemblée Nationale et sans la possibilité pour les députés de l’améliorer par leurs amendements, elle doit maintenant être abandonnée par le gouvernement et le Président Macron qui ne doit pas la promulguer, écrit François Veillerette, porte-parole de Générations Futures, dans un communiqué. Le Président doit également lancer rapidement un grand débat national sur le modèle agricole et alimentaire français (…)”.
L’article 10.2 de la Constitution permet en effet au Président de demander le réexamen d’une loi dans un délai de 15 jours après son adoption définitive (hors recours au Conseil constitutionnel). Cette procédure est extrêmement rare mais les opposants comptent bien maintenir la pression et faire plier l’exécutif.