Fini le Pacte Vert, place au Pacte de Compétitivité ? Pour définir sa nouvelle feuille de route, l’Europe semble en tout cas mettre de côté la transition écologique, pour se concentrer sur une autre problématique : comment faire face à la concurrence chinoise et américaine ? C’est la question qui plane en effet depuis quelques mois au sein des instances européennes, et qui était au centre des débats du Conseil Européen le 18 avril. L’institution bruxelloise y a posé les premiers jalons d’un nouveau “Pacte de Compétitivité”, dont l’objectif serait de redresser les forces économiques du continent, notamment face à la politique industrielle chinoise et à l’Inflation Reduction Act (IRA) américain.
Et c’est principalement par la finance que l’Europe compte redresser son économie. L’Union des marchés de capitaux en Europe apparaît ainsi comme la pierre angulaire de ce nouveau Pacte. Un serpent de mer qui revient régulièrement dans les discussions européennes depuis 10 ans, et dont l’objectif serait de créer un marché unifié des capitaux financiers dans l’ensemble de l’Union Européenne (UE) pour fluidifier la circulation des investissements et de l’épargne entre les Etats membres, et faciliter le financement des entreprises sur les marchés.
Un marché unique des capitaux financiers
“Le meilleur IRA européen, c’est l’Union des marchés de capitaux”, plaidait ainsi Charles Michel, président du Conseil Européen à l’issue des débats. Selon les estimations des institutions européennes, l’intégration européenne des marchés de capitaux permettrait en effet aux entreprises de l’UE de lever plus facilement des fonds sur les marchés financiers. 470 milliards d’euros de financements supplémentaires par an seraient mobilisables grâce à une harmonisation des marchés de capitaux. Une mesure qui permettrait, toujours selon les institutions européennes, de limiter les fuites de capitaux vers les Etats-Unis notamment, qui attireraient chaque année près de 300 milliards d’euros d’épargne européenne grâce à sa politique d’attractivité.
Le document de synthèse précise ainsi les grands traits de cette union des marchés de capitaux : “favoriser les dispositifs de financement transfrontaliers”, “relancer le marché européen de la titrisation, notamment à travers des changements réglementaires et prudentiels”, “améliorer la convergence et l’efficacité de la surveillance des marchés de capitaux dans l’ensemble de l’UE”… En résumé : dynamiser le système financier européen. Une stratégie qui pourrait toutefois s’avérer risquée si elle n’est pas accompagnée de garde-fous permettant de garantir la stabilité des marchés financiers, et de cadres permettant de flécher les investissements vers l’économie réelle et d’éviter les dérives spéculatives. Or jusqu’ici, les discussions ont été difficiles sur ce point entre les Etats membres. Des pays comme le Luxembourg ou l’Irlande, profitant de facilités fiscales et financières, ne sont pas favorables à un renforcement des pouvoirs de l’ESMA (Autorité européenne des marchés financiers). Le projet d’harmonisation de la fiscalité des entreprises et du droit des faillites, qui devait être au cœur de l’Union des marchés de capitaux, n’est ainsi pas mentionné dans les conclusions du Conseil.
Financer la transition écologique et numérique ?
En outre, si les propositions de l’UE évoquent “le besoin de financements pour les transition verte et numérique et la défense européenne”, les mécanismes permettant de flécher les investissements vers ces secteurs clés ne sont pour l’heure pas définis. Le texte ne mentionne pas, par exemple, les mesures permettant de faciliter le financement des énergies renouvelables et d’éviter que la libéralisation des flux financiers se fasse au profit des énergies fossiles. “Si la réforme du marché des capitaux élude totalement la question du financement des énergies fossiles et de l’orientation de l’épargne hors de celles-ci, alors elle n’offrirait pas de réponse à la hauteur de l’urgence climatique”, commente pour Novethic Olivier Guérin, chargé de plaidoyer Réglementation française et européenne pour Reclaim Finance.
De plus, contrairement aux politiques industrielles chinoises et américaines, le projet présenté par le Conseil Européen ne prévoit pas d’investissement public dans les secteurs clés de l’industrie ou de la transition écologique. Au lieu d’une démarche proactive d’investissements publics, le Conseil propose des mesures de “simplification” et de dérégulation, notamment via la réduction des exigences de conformité administrative. Enfin, la feuille de route vise également à mieux intégrer trois marchés clés pour l’UE : le marché de l’électricité, dont la réforme est sur le point d’être entérinée par l’UE, le marché des matières premières et de l’économie circulaire, et le marché des données. La Pacte de Compétitivité va faire l’objet de discussions approfondies entre les Etats membres et les députés européens dans les prochains mois, et devrait devenir le nouvel axe de développement de la politique économique européenne. Dans ce contexte, une question subsiste : quelle place restera-t-il pour le Pacte Vert, dont l’ambition écologique a déjà largement été affaiblie ces derniers mois ?