Publié le 26 novembre 2024

Plusieurs grandes entreprises du secteur de la grande distribution viennent d’annoncer l’arrêt de la commercialisation de viande importée du Brésil, après les polémiques autour de l’accord du Mercosur. Des annonces pas toujours bien accueillies, à l’heure où le monde agricole traverse une crise existentielle.

En plein débat sur les conséquences pour les agriculteurs français du Mercosur, accord de libre échange entre l’Europe et certains Etats d’Amérique Latine, la grande distribution a décidé de prendre position. Carrefour, suivi des Mousquetaires et son enseigne Intermarché, ont ainsi annoncé leur décision de ne plus commercialiser de viande issue des pays du Mercosur (Brésil, Argentine, Uruguay, Paraguay). Une mesure destinée, selon Alexandre Bompard, président directeur général de Carrefour, à éviter “le risque de débordement sur le marché français d’une production de viande ne respectant pas ses exigences et ses normes”, en “solidarité avec les agriculteurs français.”

Alors que le monde agricole français est vent debout contre l’accord de libre-échange et dénonce la mise en concurrence avec des productions agricoles disposant de normes sociales, environnementales et sanitaires moins élevées que les productions françaises, l’annonce a rapidement créé la controverse. Coup de com pour les uns, geste symbolique insuffisant pour les autres, ou encore provocation.

“Un effort symbolique, mais insuffisant”

“C’est un effort de solidarité avec les agriculteurs, sincère ou pas je ne sais pas, mais en tout cas c’est insuffisant” confie à Novethic Véronique Marchesseau secrétaire générale de la Confédération Paysanne. L’agricultrice voit dans les annonces de la grande distribution “une tentative de s’attirer la clémence du monde agricole, qui subit des grandes difficultés, peut-être par peur d’être mis en cause“. Les acteurs du secteur sont en effet régulièrement mis en cause dans la crise que traverse le monde agricole : en début d’année, plusieurs enseignes de la grande distribution avaient ainsi été ciblées par les mouvements agricoles, qui leur reprochaient de faire pression à la baisse sur les prix dans les négociations commerciales des contrats avec les producteurs. Certains voient ainsi dans les annonces sur le Mercosur une manière de faire diversion. “Si la grande distribution veut vraiment soutenir les agriculteurs, qu’ils fassent un véritable effort sur le partage de la valeur, pour proposer des prix rémunérateurs aux agriculteurs afin de leur permettre de produire une alimentation durable et de qualité, c’est ça que l’on attend vraiment d’eux” lance ainsi Véronique Marchesseau.

De son côté, Philippe Goetzmann, consultant spécialisé dans la grande consommation voit dans ces annonces “un sujet de com”. Sur LinkedIn, il explique : “Que les enseignes retail annoncent l’une après l’autre refuser de commercialiser de la viande du Mercosur dans leurs rayons traditionnels est aussi évident que ridicule. Elles ne commercialisent déjà pas ou si peu de viandes issues d’autres pays d’Europe, pourtant souvent moins chères. Pourquoi alors envisageraient-elles de vendre des viandes sud-américaines? Le sujet n’est pas là.” La viande importée représentant moins de 4% des ventes de Carrefour, la décision ne devrait en effet pas trop affecter le modèle d’affaires du groupe, d’autant que cela ne devrait pas concerner la viande commercialisée dans les produits industriels transformés vendus par l’enseigne. Contactée, l’entreprise n’a pour l’instant pas répondu aux sollicitations de Novethic. Quant à l’enseigne des Mousquetaires Intermarché, elle a déclaré vouloir “supprimer, à terme, les viandes en provenance des pays du Mercosur présentes dans les plats transformés de ses marques propres” et mener “des travaux […] afin de faire évoluer la chaine d’approvisionnement de ces matières premières.” Un engagement plus ambitieux, mais dont le calendrier et les leviers n’ont pas été précisés.

Appels au boycott dans les pays du Mercosur

Par ailleurs, le coup de communication pourrait s’avérer coûteux pour les acteurs du secteur. Au Brésil, c’est en effet une vague d’indignation qui a fait suite aux déclarations d’Alexandre Bompard, et des appels au boycott de Carrefour ont émergé dans tout le pays. “Si le Brésil ne peut pas vous vendre de la viande, alors vous non plus vous ne vendrez pas de produits français au Brésil” déclarait par exemple le gouverneur du Mato-Grosso, un Etat très agricole du Centre-Ouest du pays. Si Carrefour a bien précisé que ses annonces ne concernaient que ses magasins français, cette décision pourrait malgré tout lui coûter cher. Le Brésil est en effet l’un des plus gros marchés du groupe, le deuxième pays le plus important de Carrefour derrière la France en termes de chiffre d’affaires (un quart de son chiffre d’affaires en 2023). C’est une polémique de plus pour le groupe français dans ce pays, qui avait déjà été poussé, il y a quelques mois à peine, à cesser ses partenariats avec près de 200 fermes brésiliennes qui contribuaient à la déforestation illégale.

La tension continue donc de monter autour de cet accord, dont les débats impliquent désormais les agriculteurs, les entreprises des secteurs alimentaires et de la grande distribution, et le personnel politique. Alors que près de 150 000 personnes viennent de signer une pétition contre le Mercosur, le gouvernement français a annoncé la tenue d’un débat à l’Assemblée Nationale sur la ratification du traité pour tenter de désamorcer la crise.

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