Depuis son entrée en fonctions, c’est une véritable disruption dans l’économie et le commerce mondial qu’a enclenché Donald Trump, entre les menaces de droits de douanes, les attaques sur les politiques de responsabilité sociale et de diversité des entreprises, ou la remise en cause des ambitions climatiques des entreprises. Face à ce contexte chaotique, les entreprises françaises, notamment les plus grandes, sont aujourd’hui dans une posture délicate : difficile de savoir comment réagir alors que toutes les normes du commerce international sont remises en cause.
Contactés par Novethic, les groupes du CAC40 ne souhaitent pas, pour la plupart d’entre eux, faire de déclarations, mais parmi ceux qui répondent, c’est la stupeur qui domine. Après les menaces de la semaine dernière sur les droits de douane, et le volte-face de Donald Trump, tous attendent que la situation se stabilise, comme paralysés. “Les entreprises subissent cette situation de plein fouet, sont confrontées à une instabilité et des incertitudes qui affaiblissent leur pouvoir d’agir et qui peuvent fragiliser leurs business models” explique à Novethic Caroline Neyron, directrice générale de l’organisation patronale du Mouvement Impact France.
Des coûts encore difficiles à évaluer
Schneider Electric, qui annonçait à la fin du mois dernier son intention d’investir plus de 700 millions de dollars aux Etats-Unis sur les deux prochaines années, est ainsi aujourd’hui muré dans le silence. De son côté, Safran a indiqué à Novethic “étudier de près l’impact potentiel des annonces tarifaires”. “Il est trop tôt pour l’évaluer et cela dépendra également de l’issue des discussions que nous initions avec nos clients et fournisseurs” explique ainsi un représentant à Novethic. D’autres commencent déjà à chiffrer les coûts de cette nouvelle politique commerciale américaine. En février, lors de la présentation des résultats du groupe, Benoît Coquart, PDG du groupe industriel Legrand évoquait “des coûts supplémentaires de 100 à 150 millions de dollars” pour 2025. C’était sans compter sur les annonces des derniers jours, puis des revirements. D’autres concèdent en off être dans l’attente que la situation se stabilise, avant d’évaluer les conséquences de la bombe commerciale lâchée par le président américain. Une chose est sûre : des hausses de prix et des réductions des coûts seront inévitables en cas de guerre commerciale.
Pour les entreprises qui exportent aux Etats-Unis, le coût pourrait en effet s’avérer extrêmement élevé, si Donald Trump persiste dans son bras de fer commercial avec le monde. Selon le ministre de l’Economie français, Eric Lombard, 28 000 entreprises françaises, dont les activités sont très dépendantes des marchés américains, risqueraient d’être significativement affectées par les nouveaux tarifs douaniers. Autant d’entreprises qui attendent que la situation se débloque entre l’Union européenne et les Etats-Unis : si la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen a assuré qu’elle souhaitait éviter l’escalade et entrer en négociation avec les Etats-Unis, elle a prévenu que l’Union européenne préparait également des “contre-mesures”. Difficile à ce stade de savoir où mènera cette crise, alors que Donald Trump semble plus imprévisible que jamais. “Nous mobilisons actuellement nos adhérents pour évaluer précisément l’ampleur et l’impact de cette situation, mais d’ores et déjà l’urgence est claire : les entreprises ont besoin d’un retour au calme et d’un cadre stabilisé pour avancer”, commente Caroline Neyron.
Pressions et menaces sur les entreprises françaises et européennes
En plus de la guerre commerciale, c’est une guerre idéologique que l’administration Trump a lancé au niveau international. Ces dernières semaines, l’ambassade des Etats-Unis en France adressait par exemple à de grandes entreprises françaises une lettre les enjoignant à mettre fin à leurs politiques en matière de diversité et d’inclusion (DEI). Une “ingérence inacceptable” pour le Medef. Pour le Mouvement Impact France, qui a fermement condamné ces pressions, “les politiques de DEI constituent des leviers stratégiques de performance et de productivité essentiels pour les entreprises”.
Mais pour les entreprises françaises, difficile de se positionner alors que le président américain tente d’imposer son agenda réactionnaire aux acteurs privés. Plusieurs grands groupes confirment à Novethic leur intention de maintenir leurs politiques, que ce soit en matière climatique ou en matière sociale. “Les entreprises n’arrêteront pas leurs politiques de diversité ou leurs stratégies de responsabilité sociale à cause de Trump” confirme de son côté Fabrice Bonnifet, président du Collège des directeurs du développement durable, qui rassemble près de 400 entreprises françaises. “Au contraire, l’engagement des entreprises pourrait s’amplifier, par effet de résistance face au président américain” ajoute-t-il. Mais en off, plusieurs grandes entreprises indiquent qu’elles regardent attentivement comment l’évolution du contexte réglementaire aux Etats-Unis pourrait influencer leurs filiales sur place.
Après des mois d’attaques contre les objectifs climatiques des entreprises, leurs politiques de diversité et globalement leurs engagements de responsabilité sociale, Donald Trump continue ainsi de faire pression sur les entreprises, aux Etats-Unis et en dehors. “C’est une offensive claire et non dissimulée contre notre modèle” commente Caroline Neyron. “La France et l’Europe doivent affirmer leur unité pour faire respecter ce modèle et défendre nos entreprises”, conclut-elle.