Luigi Mangione a été arrêté en Pennsylvanie, six jours après avoir exécuté de sang froid le patron de United Health Care sur un trottoir de Manhattan. Cet ancien étudiant, ingénieur de 26 ans, revendique le meurtre à travers un texte qui explique qu’il a agi entièrement seul et que ses motivations sont politiques et anti-capitalistes. Il a écrit que “si United Health Care augmentait sa capitalisation boursière, ce n’était pas le cas de l’espérance de vie américaine”. L’espérance de vie des Américains diminue. Elle est actuellement de 73 ans, inférieure de six ans à celle d’un Français et la faiblesse de leur couverture santé est incriminée par bon nombre d’études comme le facteur principal.
Sur son profil X Luigi Mangione a placé la radio de sa colonne vertébrale dans laquelle il y a plusieurs plaques de fer à la suite d’une très grave blessure de surf. Il condamne enfin plus globalement le système capitaliste puisqu’il dit que “les entreprises qui continuent à abuser le pays pour réaliser d’immenses profits” sont le fond du problème. La portée politique de son geste reçoit un réel soutien sur les réseaux sociaux où beaucoup semblent le considérer comme un héros, d’autres vociférant contre le résultat que produisent des universités qui coûtent 37 000 dollars par an. Une chose est sûre, son meurtre a servi de révélateur à une crise profonde du système d’assurance santé privée du pays, United Health Care étant devenue le symbole des dérives du secteur.
Certains pratiquent l’humour noir comme ce compte sur X qui affirme “avoir cerné les suspects de ce crime” en reproduisant l’article qui explique qu’une centaine de millions d’Américains sont englués dans leurs dettes médicales. Le coût moyen d’une couverture santé moyenne pour un individu auprès de l’assurance privée United Health Care est de 576 dollars par mois. Value Penguin, moteur comparatif des diverses assurances, dit de l’entreprise que “globalement elle a de bons programmes d’assurance santé mais que les clients se plaignent des mauvais traitements de leurs réclamations et que l’entreprise refuse trop souvent la prise en charge“. Le comparateur souligne aussi qu’elle ne donne pas suite aux plaintes et a une très faible qualité d’accueil téléphonique. “Beaucoup de clients affirment que leur prise en charge est refusée alors que leur médecin affirme que le traitement est absolument nécessaire”, ajoute le site.
Restaurer la confiance
Trois douilles ont été retrouvées à côté du cadavre de Brian Thompson avec les mots “Deny”, “Defend” et “Depose”. Ce sont les termes qu’utilisent les compagnies d’assurance pour refuser les prises en charge de leurs patients. C’est aussi une référence probable au titre de l’essai d’un juriste americain “Les assurance santé ne paient pas vos réclamations et ce que vous pouvez faire pour y remédier”, publié en 2010. United Health Care est en outre confrontée à diverses controverses et procédures judiciaires dont une action de groupe contre l’utilisation d’un algorithme dans le refus de prise en charge.
La santé financière de United Health Care elle est excellente. Elle a réalisé 22,3 milliards de dollars de profits en 2023 et remboursé quasiment 242 milliards de dollars de frais médicaux. Le cours de l’action de l’entreprise se portait bien jusqu’à la mort de son patron. Elle a entrainé une baisse immédiate de 10% que l’entreprise n’a pas regagné quelques jours après le meurtre. Il faut dire que la colère des Américains ne faiblit pas à l’image de ce message : “Quand vous tuez quelqu’un dans la rue c’est un meurtre. Quand vous tuez des milliers de personnes dans des hôpitaux parce que vous ne les autorisez pas à se soigner, vous êtes un entrepreneur.”
La tonalité haineuse de ces messages inquiète Alison Taylor, professeur d’éthique à l’université de New York : “Ce meurtre très choquant, en plein Manhattan, a déclenché un torrent de ressentiment qui traduit l’état d’esprit actuel du pays. Les discours sont de plus en plus violents et ciblent les entreprises qui font du profit sur la dignité humaine. Dans certains secteurs, elles ont perdu toute confiance et respect de leurs clients.” Pour elle, mieux vaudrait s’attaquer aux racines du problème en restaurant la confiance par des pratiques plus éthiques, respectueuses de la dignité humaine que de se livrer à une course à la sécurité personnelle des dirigeants que favorise la paranoïa galopante aux Etats Unis qu’un meurtre comme celui de Brian Thompson ne peut qu’aggraver. [Mise à jour le 10/12/24 à 17h24]