Publié le 21 juin 2023

SOCIAL

Soulèvements de la Terre : la radicalisation politique nuit-elle à l’environnement ?

Le décret de dissolution des Soulèvements de la Terre a été adopté. Il décrit la somme de griefs imputés au mouvement écologiste appelant à des actions radicales et concrètes pour protéger l’eau et la terre. Cette guerre de tranchées politiques qui est en train de diviser l’opinion dans les démocraties en France, comme en Europe ou aux États-Unis autour de la lutte contre le changement climatique, ralentit les transformations nécessaires et alourdit toujours plus la facture climatique et environnementale. 

Soulevement de la terre DAMIEN MEYER AFP
La dissolution du collectif Les Soulèvements de la Terre a été prononcée le 21 juin.
DAMIEN MEYER / AFP

Feignant d’ignorer que le débat autour de la dissolution du mouvement des Soulèvements de la Terre concerne la nature des actions à mener pour préserver l’eau, l’environnement et le climat, Gérald Darmanin a publié l’intégralité du décret adopté en Conseil des Ministres le 21 juin, en expliquant qu’"aucune cause ne justifie les agissements particulièrement nombreux et violents auxquels appelle et provoque ce groupement".

Le collectif a attaqué le décret devant le Conseil d’Etat et estime qu’on ne peut pas "dissoudre un soulèvement" dont se revendiquent plus de 120 000 personnes qui ont signé sa tribune et qui rassemblent 170 comités locaux formés ces derniers mois. Il affirme "être entré en résistance" et propose à ceux qui le souhaitent de "faire apparaître les Soulèvements de la terre de 1 000 manières dans l’espace public, devant les bistrots et centres sociaux, à la pause-café, par des réunions ouvertes, des antennes internationales, des inscriptions sur les murs, des fanions et des fêtes, des désarmements et des pieds de nez."

Le décret de dissolution repose sur une base juridique fragile qui mélange des actions de destruction de biens revendiquées par le mouvement, ses capacités de mobilisation parce qu’il utilise "des comptes sur les réseaux sociaux qui ont des millions d’abonnés", avec les violences commises par "800 à 1 000 militants radicaux" dont "les agissements violents résultent clairement des mots d’ordre et des provocations orchestrés par le groupement de fait SLT" selon le décret. Ce lien de causalité est par nature difficile à établir. Une autre option aurait pu être de laisser les poursuites juridiques contre les auteurs des faits incriminés, jouer leur rôle. En France, les actes de vandalisme sont des délits faisant l’objet de condamnations pouvant aller jusqu’à 5 ans de prison et 75 000 euros d’amende par un tribunal. 

Un double risque politique 

Sortir de ce cadre est un risque politique et environnemental. Le risque politique est double. Le premier est de créer des clivages irrémédiables autour de ce qui devrait faire consensus : la lutte contre le changement climatique. Le spectacle de la politique américaine et des clivages irréconciliables entre Républicains et Démocrates autour de l’ESG (environnement, social et gouvernance), du "woke" et du déclin nécessaire des énergies fossiles devrait inciter à choisir d’autres options. La Suisse par exemple vient de faire adopter un engagement de neutralité carbone par près de 60% de sa population à l’issue d’un débat basé sur la science. 

Le second risque politique consiste à sous-estimer le basculement de l’opinion de plus en plus écoanxieux.  Une analyse de Kantar publiée début juin par le Journal du Dimanche, expliquait que les électeurs de droite étaient majoritairement des "citoyens inquiets de la crise environnementale, désireux d’actions fortes en la matière et ayant adopté certains gestes positifs dans leur quotidien". Il sera difficile dans ce contexte de générer une adhésion massive à l’idée que le porteur du message, les Soulèvements de la Terre, est plus dangereux que le message lui-même : "Attention les limites planétaires sont dépassées et la situation va devenir de plus en plus difficile pour des personnes de plus en plus nombreuses". La dissolution a amené en quelques heures 10 000 signataires de plus à l’appel du mouvement !

Un risque environnemental aux impacts indirects

Le risque environnemental de cette décision concerne plutôt les impacts indirects de la dissolution du mouvement sur le ralentissement de l’action climatique par volonté de préserver le modèle existant. "Nous n’agissons pas à la hauteur des menaces" a rappelé la climatologue, Valérie Masson-Delmotte, lors du gala de soutien au mouvement des Soulèvements de la Terre organisé en avril dernier à Paris. C’est pour cela qu’elle s’est exceptionnellement engagée aux côtés de ceux qui veulent propager une onde de choc permettant de remettre en cause des solutions type méga-bassines ou le fait de traiter séparément décarbonation et préservation de l’environnement. 

La France avec la dissolution du mouvement des Soulèvements de la Terre s’inscrit dans un mouvement général de répression accrue des militants écologistes les plus radicaux. Pourtant il y a quelques jours le Secrétaire Général des Nations Unies, Antonio Guterres, fustigeait l’indigence de l’action climatique globale, qualifiée de "pitoyable" selon lui.

Il soulignait le rôle indispensable de la société civile et la nécessité de se réveiller et d’accélérer en expliquant que l’action climatique est sapée par le manque d’ambition, de confiance, de soutien et de coopération ainsi que par les problèmes de clarté et de crédibilité. Un message plutôt aligné sur celui des Soulèvements de la Terre ! 

Anne-Catherine Husson-Traore, directrice des publications de Novethic


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