Publié le 28 juin 2023

SOCIAL

Expropriations, intimidations... Acte 2 contre TotalEnergies en Ouganda, poursuivi sur son devoir de vigilance

26 citoyens ougandais affectés par les projets Tilenga et Eacop en Ouganda lancent une nouvelle action en justice contre TotalEnergies, soutenus par le défenseur des droits humains Maxwell Atuhura et cinq ONG françaises et ougandaises. Toujours dans le cadre de la loi sur le devoir de vigilance, ils demandent réparation à la major pour les violations des droits humains commises sur place.

Eacop CA
26 citoyens ougandais affectés par les projets pétroliers Tilenga et Eacop, portés par TotalEnergies, ont décidé d’attaquer la major en justice.
@CA

"Depuis six ans, nous n'avons pas pu cultiver nos terres et nous n'avons pas été indemnisés." "Mon mari a été renversé par une voiture, j'ai eu tellement peur". Voici les témoignages de quelques-uns des 26 citoyens ougandais affectés par le projet Tilenga de forages pétroliers et par la construction de l'olédocuc Eacop, portés par TotalEnergies, qui ont décidé ce mardi 27 juin d’attaquer la major en justice. Ils sont soutenus par cinq associations françaises et ougandaises dont Les Amis de la terre France et Survie, et par Maxwell Atuhura, un défenseur des droits humains déjà arrêté deux fois pour avoir critiqué ces projets.

"Après plusieurs tentatives de poursuites en Ouganda et devant la cour de justice de l’Afrique de l’Est sans résultat, on se tourne maintenant vers la justice française, explique Diana Nabiruma de l’ONG ougandaise Afiego, lors d’une conférence de presse qui s’est tenue à Paris. Si elle a failli dans un premier temps à protéger les droits des personnes affectées, nous espérons qu’elle sera cette fois à la hauteur et qu’elle se prononcera rapidement afin que les communautés obtiennent des réparations face aux violations subies".

Total au tribunal : acte 2

En 2019, six associations dont Les Amis de la Terre, Survie ou l'association Cred, avaient déjà attaqué TotalEnergies en référé dans le cadre de la loi sur le devoir de vigilance qui oblige les grandes entreprises à prévenir les risques environnementaux et sociaux sur leur chaîne de valeur. Quatre ans plus tard, en février dernier, le juge des référés du Tribunal de justice de Paris les a finalement déboutées. Cette fois, les ONG lancent l’acte 2, fondé sur le deuxième mécanisme judiciaire de la loi sur le devoir de vigilance, avec une action en réparation pour les violations des droits humains qui ont été causées depuis 2017 et que le premier recours visait à empêcher. 

Les demandeurs accusent TotalEnergies d’avoir manqué à ses obligations de vigilance, et d’avoir entraîné de "graves préjudices" : "violation de la liberté d’expression et de manifestation, violation du droit de propriété, violation du droit à une alimentation suffisante, entrave au consentement des personnes, préjudices liées aux inondations en 2022 et 2023 autour de l’usine de traitement du pétrole que TotalEnergies a déjà commencé à construire", énumère Me Élise Le Gall, l’avocate des plaignants.

"Certaines familles ont attendu jusqu’à quatre ans avant d’être indemnisées, et sont tombées dans la pauvreté, témoigne Jelousy Mugisha, l'un des plaignants ougandais, qui a fait le déplacement dans la capitale. Le soutien alimentaire mis en place au bout d’un an par TotalEnergies s’est révélé insuffisant. Ils ont distribué des plants de manioc pendant la période sèche qu’on ne pouvait pas planter. Et puis, il y a les intimidations et le harcèlement. Moi j’ai été arrêté à mon arrivée à l’aéroport en 2019 après avoir témoigné devant le tribunal français."

Près de 120 000 personnes affectées

Les projets Tilenga et Eacop impliquent la création de six champs pétrolifères en Ouganda et la construction du plus grand pipeline chauffé au monde, reliant la région du Lac Albert en Ouganda au port Tanga en Tanzanie. Outre les impacts climatiques et environnementaux, sur le plan humain, plusieurs dizaines de milliers de personnes sont affectées. 32 000 personnes rien que pour le projet Tilenga et plus de 86 000 personnes pour le projet Eacop, soit près de 120 000 personnes au total, calculent les ONG.

Contacté par Novethic, TotalEnergies indique accueillir "favorablement un débat sur le fond devant le tribunal". L'entreprise précise en outre qu'à ce jour, "sur le projet Tilenga, 97% des accords de compensation ont été payés" et que "sur le projet Eacop, 93% des accords de compensation ont été payés". Concernant les accusations d'intimidations, TotalEnergies assure que lorsqu'il "est informé d'allégations ou de menaces à l'encontre de défenseurs des droits de l'Homme dans le cadre de ses activités, des mesures immédiates sont prises pour obtenir des informations complémentaires". 

Concepcion Alvarez


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