Publié le 22 septembre 2023

SOCIAL

Les peuples autochtones gagnent le "procès du siècle" contre l’agrobusiness au Brésil

C’était un duel à la David contre Goliath. D’un côté les peuples autochtones du Brésil, spoliés de leurs terres depuis des années, de l’autre, le puissant secteur de l’agrobusiness. Contre toute attente, ce sont bien les peuples indigènes qui ont remporté la bataille. La Cour suprême vient de conforter leurs droits sur leurs terres, évitant ainsi leur expropriation.

Peuples autochtones EVARISTO SA AFP
Des représentants de centaines de tribus indigènes ont suivi les débats de la Cour suprême sur un écran géant, sous une tente.
EVARISTO SA / AFP

C'est une victoire historique. Les peuples autochtones du Brésil ont remporté jeudi 21 septembre un procès démarré en 2021 par les géants de l'agro-négoce. Ces derniers défendaient le concept du "cadre temporel". Au nom de la "sécurité juridique" des exploitants, il proposait ainsi de ne reconnaître comme terres revenant de droit aux autochtones que celles qu'ils occupaient ou revendiquaient officiellement au moment de la promulgation de la Constitution en 1988. Or les autochtones expliquent que certains territoires n'étaient plus occupés par eux à cette époque car ils en avaient été expulsés, notamment sous la dernière dictature militaire (1964-1985). Selon l'ONG Institut socio-environnemental (ISA), près d'un tiers des plus de 700 réserves indigènes déjà délimitées au Brésil (la majorité en Amazonie) auraient pu être affectées.

Le procès à la Cour suprême, qui fera jurisprudence, porte plus précisément sur le cas du territoire Ibirama-Laklano, dans l'État de Santa Catarina (sud), qui a perdu son statut de réserve indigène du peuple Xokleng en 2009, à la suite d'un jugement d'une instance inférieure. Les juges avaient alors justifié leur décision en expliquant que ces terres n'étaient pas occupées par les autochtones en 1988. "Maintenant que le cadre temporel est définitivement enterré, nous allons pouvoir avancer dans la protection de nos terres et de nos droits", a déclaré à l’AFP Joenia Wapichana, présidente de la Funai, organisme public de protection des autochtones qui s’est félicité que la "justice soit du côté des peuples indigènes". 

Un retournement après l'ère Bolsonaro

Les magistrats de la Cour suprême doivent encore trouver un consensus sur les questions pendantes, notamment sur de possibles indemnisations par l'État de propriétaires de terres qui seraient transformées en réserves à l'avenir. Mais cette nouvelle est un vrai soulagement pour les peuples autochtones. D’autant plus après le passage au pouvoir de Jair Bolsonaro. Sous son mandat, la déforestation en Amazonie a atteint des records.

"Une belle victoire surtout face à l’industrie agro-alimentaire qui menace en permanence les droits des peuples autochtones ! Mais aussi pour la lutte mondiale contre le changement climatique", se félicite l’eurodéputée Michèle Rivasi sur Twitter. Et de fait, selon l’IPBES, la plateforme mondiale sur la biodiversité, les peuples autochtones protègent 80% de la biodiversité mondiale alors même qu’ils ne représentent que 5% de la population humaine. 

Les peuples autochtones particulièrement menacés

"Ce qui caractérise avant tout les peuples indigènes est leur mode de vie ancestral : ils n’extraient que ce dont ils ont besoin pour vivre, le juste nécessaire, avec des pratiques respectueuses de l’environnement", expliquait en 2019 à Novethic Monseigneur Roque Paloschi, archevêque de Porto Velho au Brésil et président du Conseil Indigéniste Missionnaire (CIMI), de passage à Paris. "lls vont pêcher en barque pour couvrir les besoins de leurs familles, en donnant le temps à la nature de se régénérer. Ils ne sont pas dans une logique d’accumulation car ils sont en dehors des circuits monétaires et financiers". 

Si cette nouvelle décision de la Cour suprême marque un tournant pour les peuples autochtones, ces derniers sont particulièrement menacés. Selon l’ONG Global Witness, un défenseur de l’environnement a été tué tous les deux jours dans le monde en 2022. Un tiers d’entre eux étaient membres de peuples autochtones. 

Marina Fabre Soundron avec AFP


© 2023 Novethic - Tous droits réservés

‹‹ Retour à la liste des articles

SOCIAL

Droits humains

Le respect des droits humains par les entreprises est devenu crucial pour les investisseurs ou les ONG. Elles dénoncent les violations commises contre des peuples autochtones ou les communautés locales ce qui peut compromettre de nombreux projets, en particulier dans le secteur extractif.

COP28 Manifestation KonradSkotnicki

COP28 : privée de Marche pour le climat, la société civile mise au ban

Une COP très silencieuse. Alors qu’il ne reste que quatre jours aux États pour trouver un accord ambitieux pour le climat, la société civile peine à se faire entendre. Pour la seconde année consécutive, il n'y aura pas de grande marche dans la ville du sommet. À la place se tiendra une manifestation...

La poste devoir de vigilance STEPHANE DE SAKUTIN AFP

Condamnation de La Poste sur son devoir de vigilance : "C'est le début d'une nouvelle ère"

La Poste devient un symbole. Le groupe vient d'être condamné par le tribunal de Paris à améliorer son devoir de vigilance dans un dossier concernant des travailleurs sans-papiers chez ses filiales Chronopost et DPD. Une première judiciaire qui pourrait faire jurisprudence alors que de nombreuses...

Shein pop up store CHRISTOPHE ARCHAMBAULT AFP

Shein : le géant de l'ultra-fast fashion déstabilisé par une enquête sur des violations de droits humains et environnementaux

Illustration du "pire de l’industrie de la mode", Shein est au cœur des critiques. Visé par une campagne contre la fast fashion à l’occasion du Black Friday, le géant de l’e-commerce fait également l’objet d’une procédure lancée par la cellule française de l’OCDE. Cette dernière devra enquêter sur...

Tuvalu TORSTEN BLACKWOOD AFP

Le Tuvalu, menacé de disparaître sous les eaux, obtient l'asile climatique

L'Australie accorde officiellement l'asile climatique au Tuvalu, archipel du Pacifique menacé de disparaître sous les eaux avant la fin du siècle. Cette première mondiale est un soulagement pour les habitants. Mais l'accord n'efface pas la responsabilité de l'Australie, grand producteur d'énergies...