Publié le 10 mars 2022
SOCIAL
Guerre en Ukraine : les entreprises empêtrées dans les contradictions des Objectifs de développement durable
Après Exxon, Apple, Nike ou Levi’s, c’est au tour de McDonald's d'annoncer la suspension de ses activités en Russie. Si le retrait de certaines multinationales apparaît comme évident, d'autres se retrouvent piégées dans un conflit de valeurs, à l’image de Danone ou Lactalis qui justifient leur maintien dans le pays. Le cap environnemental, social et sociétal fixé par les objectifs de développement durable (ODD) de l’Onu ne permet pas de s’extirper de ce conflit de valeurs, loin s’en faut.

Viktor Antonyuk / Sputnik via AFP
"Promouvoir l’avènement de sociétés pacifiques et ouvertes aux fins du développement durable", ordonne l’Objectif de développement durable (ODD) n°16, que 196 pays se sont engagés à appliquer en 2015. Ainsi, "une entreprise ne peut pas avoir d’activité dans un pays qui viole le droit international sinon elle fait un choix politique qui l’expose", indique Patrick D’Humière, enseignant à CentraleSupélec. Mais le deuxième ODD impose aussi aux groupes "d’éliminer la faim, d’assurer la sécurité alimentaire" ou encore le sixième enjoint de "garantir l'accès de tous à des services d'alimentation en eau et d'assainissement". Comment concilier les différentes finalités des 17 Objectifs de développement durable fixés pour assurer la paix et la prospérité pour les peuples et la planète ?
D’un côté, "les consommateurs, investisseurs et salariés occidentaux sont de plus en plus mal à l’aise avec les entreprises opérant dans des régimes corrompus ne respectant pas les droits humains", affirme dans un billet LinkedIn Alison Taylor, directrice d’Ethical Systems, un centre de recherche de l’université de New York. Mais ces départs occasionnent aussi des dommages sociaux collatéraux, souligne la spécialiste. L’exemple de la suspension des activités de Mastercard et Visa en Russie est à ce titre édifiant puisque ces décisions ont été particulièrement préjudiciables aux opposants de Poutine, à l’opposé des objectifs des géants américains.
Les parties prenantes appellent les entreprises à prendre position
Pour éviter de tels dommages et pour soutenir les populations locales, des groupes affirment se maintenir en Russie à l'image de Danone. Le géant de l’agroalimentaire dit vouloir "répondre aux besoins alimentaires essentiels des populations civiles", explique Laurent Sacchi, secrétaire général du groupe. En Ukraine, une des deux usines du groupe a fermé ses portes, mais "l'activité vient de reprendre dans la deuxième", a signalé Danone. Même position de Lactalis qui continue à faire tourner ses usines tout comme Veolia qui affirme ne pas vouloir cesser d'opérer dans les villes russes où ses 1 850 salariés locaux assurent l'eau potable ou l'assainissement. Uniqlo défend le même raisonnement : "L'habillement est une nécessité de la vie - le peuple russe a le même droit de vivre que nous", a déclaré le directeur général Tadashi Yanai.
D'autant que les valeurs à elles seules ne peuvent justifier un retrait de la Russie, explique Alison Taylor. "Si nous disons que les droits de l'Homme sont le problème en Russie, il est très difficile de justifier d'être en Chine en ce moment", confie-t-elle au Financial Times. L'heure est au choix pour les entreprises qui sont de plus en plus mises sous pression par les politiques, leurs employés, les consommateurs ou encore leurs investisseurs dans leurs prises de position. Résultat, elles ont quitté la Russie en masse, parfois précipitamment. Or, il ne suffit pas d'appliquer les ODD pour être responsables, il faut aussi anticiper et consolider sa politique de développement durable avant qu'une crise d'ampleur ne survienne;
Mathilde Golla @Mathgolla