Publié le 08 mars 2022
ÉCONOMIE
Guerre en Ukraine : pourquoi la suspension de Mastercard, Visa et American Express en Russie est contre-productive
Comme de nombreuses entreprises avant eux, Mastercard, Visa et American Express ont annoncé la suspension de leurs opérations en Russie. Mais cela prive potentiellement la population locale et les opposants au régime russe de leurs moyens de subsistance. Ainsi, cette décision peut, à l’inverse de l’effet recherché par les géants américains des moyens de paiement, servir le clan Poutine.

@AFP, Michal Cizek
"Nous sommes contraints d'agir à la suite de l'invasion non provoquée de l'Ukraine par la Russie, et des événements inacceptables dont nous avons été témoins", a déclaré Al Kelly, directeur général de Visa, dans un communiqué, pour expliquer son retrait de Russie. Même argument de Mastercard, qui opère depuis plus de vingt-cinq ans en Russie et suspend ses activités en raison de "la nature sans précédent du conflit actuel". Quant à American Express, il qualifie l’invasion de l’Ukraine par la Russie d"injustifiée" et affirme qu’il va aussi interrompre toutes ses opérations avec la Belarusse.
Ainsi, les cartes de paiement des trois sociétés ne pourront plus être utilisées pour faire des achats dans le pays, en ligne ou en magasin. Elles ne pourront plus non plus être utilisée aux guichets automatiques, ni chez les commerçants. Quant aux titulaires de cartes russes, ils ne pourront plus les utiliser en dehors de la Russie. Les trois groupes avaient déjà pris des mesures pour empêcher les banques russes d'utiliser leurs réseaux.
Ces décisions sont lourdes de conséquences pour les citoyens car, en 2020, 74% des paiements étaient réalisés via des cartes Mastercard ou Visa, selon Nilson Report, un publication spécialisée. La Banque de Russie a toutefois précisé que toutes les cartes Visa et Mastercard émises par les banques russes allaient continuer à fonctionner normalement sur le territoire russe jusqu'à leur date d'expiration. Il n'en va pas de même pour "les Russes à l'étranger qui verront leurs paiements rejetés", assure à la BBC la spécialiste des marchés bancaires Susannah Streeter. Ces décisions pourraient donc être particulièrement préjudiciables aux opposants au régime.
Les banques russes vont se tourner vers le système chinois UnionPay
Sur Twitter, des voix s’élèvent pour donc condamner ces choix, à l’image de Farida Rustamova, une journaliste indépendante qui a quitté la Russie à cause de l'invasion. Elle estime que "des personnes comme elles vont être privées de moyens financiers indispensables". Selon elle, "sanctionner Poutine, son entourage et les responsables russes est une bonne chose qui aurait dû être faite beaucoup plus tôt" mais la suspension des opérations bancaires en Russie pénalise "les personnes qui ont fui le pays à cause de la menace de poursuites politiques par le régime de Poutine".
Elle évoque les nombreux "journalistes indépendants, membres de l’opposition, activistes politiques et tous ceux qui s’opposent à la guerre. Nous devons quitter le pays dans les prochains jours et bon nombre d’entre nous n’ont pas de comptes bancaires à l’étranger". Farida Rustamova ajoute que "le peu d’économie que nous avions sont gelées sur nos comptes". Elles demandent ainsi aux géants américains de "pratiquer des suspensions sélectives. Nous sommes Russes mais nous ne soutenons pas la guerre de Poutine", lance-t-elle. "Et le plus triste, c'est que c'est exactement ce que Poutine veut qu'il se passe", confie-t-elle à la BBC.
@Visa @Mastercard sanctioning Putin, his inner circle and Russian officials is a good thing which should have been done much earlier. But suspending all Russia operations now you punish people who fled the country because of the threat of political prosecution by Putin’s regime
— Farida Rustamova (@faridaily_) March 6, 2022
La mesure sera d’autant plus indolore pour les soutiens de Poutine qu’ils ont déjà anticipé ce type de décision. Ainsi, les banques russes ont prévu de se tourner vers le système chinois UnionPay en lien avec le système de paiement russe Mir (qui fonctionne dans une poignée de pays). Des établissements russes ont dès le 6 mars affirmé envisager cette alternative, qui leur permettrait de contourner les sanctions et des banques russes. "Sberbank travaille à la possibilité d'émettre des cartes co-marquées Mir-UnionPay. Nous vous informerons plus tard du calendrier d'émission", a expliqué le numéro 1 du secteur bancaire russe. "Nous travaillons déjà à l'émission de cartes UnionPay, le système de paiement national de la Chine. Avec cette carte, on peut faire des paiements dans 180 pays du monde", indique Alfa Bank, sur son compte Telegram. Selon les agences de presse russes, Rosbank, Tinkoff-Bank, Raiffeisen et MKB ont toutes indiqué travailler aussi sur cette possibilité.
Mathilde Golla @Mathgolla