Publié le 27 septembre 2023
SOCIAL
22 ans pour juger les fichiers discriminatoires d’Adecco : double peine pour les victimes !
Au début des années 2000 un stagiaire d’Adecco révèle l’existence d’un fichier ethnique qui classe en BBR les intérimaires blancs et en PR4, 500 intérimaires noirs. Cette pratique de discrimination raciale qui raréfiait drastiquement les embauches des inscrits noirs est totalement interdite. Pourtant malgré les preuves et la saisine rapide des tribunaux, il aura fallu 22 ans pour trouver une date au procès. Il ouvre le 28 septembre devant le tribunal correctionnel de Paris.

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Ils avaient une vingtaine d’années dans les années 2000 et s’étaient inscrits dans une agence Adecco pour chercher des missions d’intérim. Ils ont découvert qu’ils étaient fichés comme noir (PR4) et non Bleu Blanc Rouge (BBR), code qui permettait à l’agence concernée de servir la demande de clients souhaitant exclusivement des intérimaires blancs. Ils ont fourni tous les papiers nécessaires quand l’affaire a éclaté, en 2001, parce qu’ils avaient "confiance dans la justice de leur pays".
22 ans plus tard ils ont la quarantaine et sont sidérés qu’il ait fallu autant de temps pour trouver une date de procès et les entendre dans un cadre judiciaire. Cette affaire a permis de prouver ce qu’est la discrimination à la française dans les entreprises. Elle est totalement illégale par loi mais très répandue grâce à des artifices divers comme les fichiers d’Adecco. Dans le cas de l’agence incriminée, la preuve existait puisqu’elle a été fournie par le lanceur d’alerte mais le procès aura mis plus de 20 ans à être jugé.
Angle mort de la RSE
Dès le départ ce scandale a, malgré tout, eu une influence importante. Il a mis fin au sempiternel argument des premières politiques RSE : "Il n’y a pas de discrimination en France parce que c’est interdit et que nous ne sommes pas comme les Américains qui fichent les gens en fonction de la couleur de leur peau". Il a montré que des mauvaises pratiques existaient bel et bien et qu’il fallait installer un cadre réglementaire pour stimuler le lancement des politiques de diversité par l’origine ethnique. En 2002 le testing a été reconnu comme preuve de discrimination. Il consiste, par exemple, à montrer qu’à CV égal Jules Bernard obtient un entretien ce qui n’est pas le cas d’Aba Traore.
Pour faciliter l’intégration économique et déminer les processus de discrimination à l’embauche comme dans les parcours de carrière, la HALDE (Haute Autorité pour lutter contre les discriminations et pour l'égalité) a été créée en 2004, année de lancement de la charte sur la diversité. Signée à ce jour par plus de 4000 entreprises, elle continue son travail de sensibilisation et de pédagogie alors que la HALDE a été dissoute en 2011, ses missions étant intégrées à celle du Défenseur des droits. Elle avait permis de réelles avancées qui ont conduit à une augmentation des plaintes pour discrimination au travail dans sa courte existence.
Depuis la montée politique de l’extrême droite a fait son œuvre et les diverses études sur la discrimination envers les minorités visibles montrent que le contexte pourrait tout à fait favoriser un nouveau scandale comme Adecco. Cela ne fait pas partie du premier rang des dimensions sociales de la RSE. Principal motif de ne pas s’investir sur le sujet la difficulté de la mesure.
Comment établir le profil des origines et de la couleur de peau d’un personnel donné s’il est interdit de les identifier comme tel sur tout fichier quel qu’il soit et ce depuis 1978 ? Comment repérer les stéréotypes appliqués par les ressources humaines et plus globalement tous recruteurs ou manager ? Comment vérifier que le personnel est bien divers dans une entreprise quand seul le sexe et l’âge doivent officiellement être comptabilisés ? Autant de questions qui ne sont toujours pas résolues et qu’il faudrait à nouveau poser à l’occasion du procès Adecco. Elles permettraient de revenir à la prise de conscience de la discrimination ordinaire telle qu’elle était pratiquée par l’agence d’intérim pour identifier des moyens d’y remédier.
Une discrimination toujours très présente
Si depuis ce scandale, Adecco affirme que "la lutte contre toutes les formes de discriminations est une priorité depuis de nombreuses années à tous les niveaux de l'entreprise", le sujet reste, dans le milieu économique, peu traité. La charte de la diversité explique ainsi : "Même si les organisations de plus de 250 salariés ont l’obligation de former les personnes chargées du recrutement à la non-discrimination, près de la moitié des saisies du Défenseur des droits pour discrimination raciale concernent l’accès à l’emploi."
En 2020, le gouvernement a épinglé sept grandes entreprises françaises qui étaient présumées faire de la discrimination à l’embauche après une campagne de testing démontrant qu’un candidat dont le nom ayant une consonance maghrébine avait 25 % de chance en moins d’avoir un retour positif sur sa candidature. C’était pire si le jeune candidat venait d’un Quartier prioritaire de la Politique de la Ville (QPV).
Pour la charte de la diversité "les politiques d’inclusion de la diversité s’intègrent progressivement dans la démarche globale RSE mais les actions en faveur de la lutte contre les discriminations ethno-raciales sont paradoxalement peu visibles." Elle en appelle à un effort de mobilisation et d’engagement de l’État, des entreprises et des associations. Il serait temps de prendre la mesure du problème : 74 % des Français estiment que la discrimination selon l’origine ethnique est très répandue en France, selon l’Eurobaromètre sur la discrimination. C’est 15 % de plus que la moyenne européenne.
Anne-Catherine Husson-Traore, directrice des publications de Novethic