Publié le 24 octobre 2016

SOCIAL

Violente casse sociale dans le secteur pétrolier

Confrontées à la chute des prix du brut, les compagnies pétrolières licencient par milliers. Elles tentent aussi d’imposer à leurs salariés des baisses de rémunération et un travail accru. Des mesures d’autant plus difficiles à accepter que leurs dirigeants conservent, voire augmentent, leur propre niveau de rémunération. Les syndicats s’insurgent contre cette casse sociale. Ils dénoncent aussi le recours à des sous-traitants exploitant leurs employés au mépris de toute considération sociale.

L'offshore de la mer du Nord n'avait pas connu le moindre mouvement de grève depuis près de 30 ans. (Ci-dessus, un travailleur sur la plateforme offshore Edvard Grieg).
Hakon Mosvold Larsen / NTB Scanpix / AFP

La chute des cours du brut, entamée mi-2014, a plongé le secteur pétrolier dans l’une des plus graves crises de son histoire. Les salariés paient un lourd tribut à ces difficultés. En mai dernier, le secteur avait supprimé un peu plus de 350 000 emplois à travers le monde, selon la société de services américaine Graves & Co.  

Pour les employés qui conservent leur poste, les conditions sont de plus en plus difficiles. Certaines compagnies cherchent à imposer des rythmes de travail toujours plus intenses et des baisses de rémunération.

C’est le cas, outre-Manche, de Wood Group. D’après le syndicat britannique du transport maritime et ferroviaire RMT, la compagnie parapétrolière, qui travaille pour Shell en mer du Nord, entend imposer quatre à cinq semaines de travail supplémentaires par an. Elle souhaite aussi allonger le rythme des rotations : les employés de l’offshore devraient désormais passer trois semaines en mer, suivies de trois semaines de repos, contre un rythme deux semaines / deux semaines jusqu’à présent.

 

Une grève historique en mer du Nord

 

Comble du comble : "il est demandé aux salariés d’accepter tout cela avec une baisse de rémunération allant de 10 à 30%", affirme Jake Malloy, du RMT. Wood conteste ces affirmations, évoquant des diminutions de revenus de 3% en moyenne.

Pour les employés de la compagnie, la coupe est pleine. Près de 400 d’entre eux ont participé à des arrêts de travail fin juillet et début août. Un fait inhabituel dans l’offshore de la mer du Nord, où aucun mouvement de grève n’avait eu lieu en près de…  30 ans !

La grogne touche également d’autres régions pétrolières. Au Koweït, en avril, les employés du secteur ont eux aussi fait grève pour défendre leurs rémunérations.

Aux États-Unis, les actions de groupe se multiplient ces derniers mois contre des compagnies d’exploration-production : les salariés licenciés cherchent à se faire dédommager pour les heures supplémentaires qui ne leur ont pas été payées. Selon les données du ministère du Travail américain, le secteur pétrolier fait partie de ceux violant le plus la législation sur les rémunérations, en particulier en ne payant pas les heures supplémentaires.

 

La rémunération de certains dirigeants jugée scandaleuse

 

Facteur aggravant pour le secteur : alors que les employés doivent se serrer la ceinture, certains dirigeants continuent à mener grand train. L’an dernier, le parapétrolier franco-américain Schlumberger a supprimé plus de 20 000 emplois. Cela n’a pas empêché son patron, Paal Kibsgaard, de toucher une rémunération totale de 18,3 millions de dollars, soit presque autant qu’en 2014.

En avril dernier, les actionnaires de BP ont rejeté à 60% la hausse de 20% de la rémunération du directeur général, Bob Dudley. Un vote consultatif par lequel ils ont jugé une telle augmentation inacceptable, alors que le groupe a perdu 5,2 milliards de dollars en 2015.

Les résultats de nombreuses compagnies ont même plongé dans le rouge. Contraintes de réduire leurs coûts, certaines sollicitent les sous-traitants proposant les plus bas prix. Quitte, dans certains cas, à encourager indirectement un véritable esclavage moderne.

 

Dumping social via les sous-traitants

 

La Fédération internationale des ouvriers du transport, l’ITF, s’en est émue en juin. À la suite d’une inspection de routine, elle a retenu en Écosse un navire de support à l’offshore, le MV Malaviya Seven, en collaboration avec l’agence britannique de contrôle maritime (MCA). Motif : certains des 15 membres indiens de l’équipage n’avaient pas été rémunérés depuis plusieurs mois. Ce bateau de l’armateur indien GOL Offshore aurait été utilisé en mer du Nord par BP, Wood, Dana et Premier Oil, alors que le Royaume-Uni s’efforce de lutter contre le travail forcé dans les chaînes d’approvisionnement.

Le problème s’est révélé le même pour un autre navire de GOL, le MV Malaviya Twenty, également utilisé outre-Manche. Au total, plus de 250 000 dollars n’auraient pas été versés aux équipages.

Les actions de l’ITF ont porté leurs fruits. Début septembre, la plupart des marins avaient été payés. Reste un problème de taille : la faiblesse de leurs rémunérations. D’après le RMT, ils ne sont payés "qu’environ 2 dollars par heure, soit moins du cinquième de ce que prévoient les dispositions sur le salaire minimum national britannique". Un véritable dumping social au détriment des marins britanniques qui, selon le syndicat, sont plus de 1 000 à avoir perdu leur emploi dans l’offshore pétrolier en 2015.

Toute cette "casse sociale" fait craindre une détérioration du niveau de sécurité. D’une part parce que les réductions de coûts risquent d’entraîner un moindre respect des normes. D’autre part parce que les salariés, terrifiés à l’idée de perdre leur emploi, ne signalent plus les manquements aux règles de sécurité, affirme la fédération syndicale écossaise STUC (Scottish Trade Unions Congress). Inquiétant quand on connaît l’impact potentiel des accidents pétroliers en termes d’environnement et de vies humaines.

Carole Lanzi
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