Publié le 15 août 2023
SOCIAL
Des ouvriers sans papiers des JO 2024 attaquent des champions du BTP : "La France n'est pas mieux que le Qatar"
Dix travailleurs sans papiers ont annoncé fin juin assigner huit entreprises sous-traitantes et quatre géants du BTP devant le conseil des prud'hommes de Bobigny. Ils pointent du doigt leurs conditions de travail, ne bénéficiant ni de contrat ou de fiche de paie, ni de protection sur les chantiers du village olympique. Une nouvelle polémique alors que les Jeux de Paris doivent s’ouvrir dans à peine plus d’un an.

ANNE-CHRISTINE POUJOULAT / AFP
Les belles promesses des organisateurs des Jeux olympiques 2024 seraient-elles en train de s’effondrer ? Le 20 juin dernier, dix travailleurs sans papiers ont assigné douze entreprises du BTP devant le conseil des prud'hommes de Bobigny, en Seine-Saint-Denis, selon des informations partagées par Franceinfo. Les ouvriers, originaires du Mali et de République démocratique du Congo, ont travaillé sur plusieurs chantiers des JO de Paris, dont le village olympique qui accueillera dans un an les athlètes du monde entier.
Aujourd’hui régularisés, ils dénoncent le fait "d’avoir travaillé sans contrat de travail, sans fiche de paie, sans congés payés ni heures supplémentaires." Les travailleurs affirment également avoir dû se procurer eux-mêmes du matériel de protection pour œuvrer sur les chantiers. Leur plainte vise huit sous-traitants, mais aussi quatre grandes entreprises donneuses d’ordre : Vinci, Eiffage, Spie Batignolles et GCC. Alors que l’audience est prévue en octobre prochain, Vinci, GCC et Eiffage n’ont pas répondu aux sollicitations de Franceinfo ou ont refusé de s’exprimer. Seule Spie-Batignolles affirme "tout faire pour que les travailleurs soient en règle."
"La France n'est pas mieux que le Qatar"
Pourtant, sur le terrain, les témoignages sont sans appel. "Tout le monde savait que je n'avais pas de papiers. Et c'est Spie Batignolles qui commande sur le chantier", explique l’un des ouvriers auprès de Franceinfo. "Un jour, j'avais mal au genou. J'ai demandé à mon patron si je pouvais prendre un ou deux jours de repos. Il m'a dit : 'Si tu n'es pas là lundi, tu prends tes affaires'. J'ai dû continuer à travailler malgré la souffrance. La France n'est pas mieux que le Qatar", ajoute-t-il. Et la situation n’est pas nouvelle.
En 2022, des contrôles de l’inspection du travail avaient révélé à deux reprises des cas de travail illégal sur des chantiers des Jeux olympiques, poussant le parquet de Bobigny à ouvrir une enquête préliminaire pour "travail dissimulé", "emploi d’étranger sans titre en bande organisée" et "blanchiment aggravé". Dans un reportage publié par le journal Le Monde en décembre dernier, plusieurs travailleurs témoignaient également d’un rapport de force en faveur des employeurs. "On est là pour survivre, on n’a pas le choix", regrettait l’un d’eux.
Une situation "récurrente"
Mais alors que la compétition va s’ouvrir dans à peine plus d’un an, le compte-à-rebours s’est enclenché, augmentant la pression sur les ouvriers. "On nous avait promis des chantiers des JO exemplaires. Finalement c'est pire qu'ailleurs, car il y a un impératif politique : il faut que les chantiers soient livrés en temps et en heure", affirme auprès de Franceinfo Richard Bloch, de la CGT. Selon le syndicat, une centaine de travailleurs seraient dans cette situation. De son côté, la Direction régionale et interdépartementale de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités (Drieets) déclare avoir constaté "lors de trois contrôles, la présence de travailleurs sans titres de séjour sur les chantiers".
Une problématique "récurrente" d’après l’organisme, qui rappelle la tenue de contrôles au sein de 307 entreprises entre janvier 2022 et mai 2023 menant par ailleurs à la "détection de fraudes impliquant de fausses sociétés d’intérim." Face à ce constat, la mission d’information sur les retombées des Jeux olympiques sur le tissu économique et associatif local appelle dans un rapport publié le 5 juillet dernier à "intensifier les contrôles de l’inspection du travail sur les chantiers olympiques."