Publié le 24 février 2021
SOCIAL
Nouveau revers pour Uber : ses chauffeurs ne sont pas des travailleurs indépendants selon la justice britannique
La justice britannique a rejeté le recours du géant américain Uber. Cette décision de la Cour suprême confère aux chauffeurs un statut intermédiaire entre l’indépendance et le salariat, avec certains avantages sociaux comme un salaire minimum ou des congés payés. Pour éviter que cette décision ne fasse tache d’huile, Uber va lancer une consultation des chauffeurs et annonce de nouvelles dispositions sociales à venir.

@CCO
Le sort de la gig economy (l'économie des "petits boulots") dépendra-t-il des décisions de justice ? Celles-ci se multiplient à l’encontre d’Uber concernant le statut de ses chauffeurs ou livreurs. Cette fois, c’est la Cour suprême britannique qui vient de se prononcer. Le 19 février, elle a jugé que les chauffeurs de la plateforme devaient être qualifiés de "workers". Il ne s’agit pas de les requalifier en employés mais de leur donner un statut intermédiaire, leur conférant plusieurs avantages comme un salaire minimum ou des congés payés.
La décision fait suite à une bataille juridique de plusieurs années en Angleterre. Par deux fois, en 2017 et 2018, la justice britannique avait donné raison aux chauffeurs, estimant que le temps connecté à l’application crée un lien de subordination. La Cour suprême vient confirmer leur jugement : "en se connectant à l'application, un chauffeur est considéré comme un travailleur avec un contrat".
Cette décision peut être considérée comme "l'une des défaites les plus importantes subies par Uber sur le statut de ses chauffeurs", estime le Financial Times. La plateforme en a essuyé plusieurs comme en France où la Cour de Cassation a requalifié le statut d’un chauffeur Uber indépendant en salarié en mai 2020. Mais le marché britannique est l’un des plus importants pour la plateforme. Et il n’est pas toujours tendre avec lui. En 2017, Uber avait déjà dû faire face au non-renouvellement de sa licence à Londres, avant que cette décision ne soit annulée en appel à l’automne 2020.
Contre-propositions
Avec cette décision, les 35 chauffeurs à l’origine de la démarche vont pouvoir demander une compensation financière à Uber, que certains avocats estiment à 12 000 livres (14 000 euros). Si des milliers de plaintes similaires devaient être examinées, comme l’envisagent les journaux britanniques, Uber, qui n’est toujours pas rentable, ne devrait pas avoir d’autres choix que d’augmenter ses tarifs, estiment plusieurs experts. Les autres plateformes qui fonctionnent sur le même système pourraient également être soumises aux mêmes règles si des plaintes similaires les visaient, mettant à mal le modèle économique sur lequel repose la gig economy.
En attendant de voir si le raz de marée de plaintes a bien lieu, Uber ne s’avoue pas vaincu. Si la plateforme assure respecter la décision de la Cour, elle a déjà annoncé qu'elle n'entendait pas requalifier l'ensemble des chauffeurs en salariés. Mais "nous sommes décidés à faire plus et allons consulter tous nos chauffeurs en activité au Royaume-Uni pour comprendre les changements qu'ils veulent voir", a réagi Jamie Heywood, patron d'Uber pour l'Europe du Nord et de l'Est.
La France agit
En France, cette consultation a déjà eu lieu en automne et de nouvelles mesures sociales ont été annoncées quelques jours avant la décision britannique. Au vu de leur "résilience et leur engagement sans faille" dans cette année difficile, ceux-ci auront "plus de contrôle sur les prix avec la capacité de fixer eux-mêmes manuellement leur tarification, plus de protection sociale, plus de solutions pour financer leur activité avec un prêt à taux zéro", explique Laureline Serieys, general manager d'Uber en France. Mais tous resteront indépendants.
Au niveau européen, Uber plaide aussi auprès des gouvernements et syndicats pour une mutualisation des efforts avec la création d'un fonds financé par le secteur qui permettrait aux chauffeurs d'accéder à des aides et de la protection sociale, comme d'être payés pendant des congés. Mais d'autres plateformes, comme Just Eat ont déjà décidé de salarier une grande partie de leurs livreurs, pour plus de "professionnalisme" et de "responsabilité". Sans augmenter (pour l'instant) leurs tarifs.
Béatrice Héraud, @beatriceheraud