Publié le 05 juillet 2023

SOCIAL

Et si on passait à la semaine de travail de 15 heures ? On en parle avec l'auteur de "La Vie est à Nous", Hadrien Klent

Après un premier volet "Paresse pour tous", l’écrivain Hadrien Klent revient avec "La vie est à nous", un roman à la fois politique et utopique, où un président de la République fraîchement élu institue la semaine de travail de 15 heures pour avoir du temps pour s’occuper de soi, des autres et de la planète. Entretien.

La vie est à Nous Le Tripode
Avec la suite de "Paresse pour tous", Hadrien Klent revient avec "La vie est à nous", un roman où se mêlent la philosophie, les sciences sociales, l’économie ou encore l'écologie.
Le Tripode

Et si, en France, on passait à la semaine de 15 heures ? Alors que la question de la réduction du temps de travail est un véritable serpent de mer politique, la littérature s'en est également emparé. Après un premier volet "Paresse pour tous", sorti aux éditions du Tripode en 2021, l’écrivain Hadrien Klent revient avec la suite.

Dans "La vie est à nous" son personnage principal Emilien Long a été élu président de la République, et doit donc se confronter à l’exercice du pouvoir et mettre en application ses promesses électorales, dont la semaine de 15 heures. Utopiques ? Réalistes ? Pour Novethic, l’auteur revient sur sa vision du travail, d’un monde décroissant et durable, plus en adéquation avec la planète.

En France, l’idée de la semaine de quatre jours fait débat. Votre personnage Emilien Long, va plus loin en proposant la semaine de 15 heures. Utopie ou nécessaire réalité pour sauver la planète ?

Hadrien Klent : Un peu des deux. C’est à la fois utopique, car nous ne sommes pas prêts aujourd’hui à remettre en question l’ensemble du dispositif de la machinerie économique à laquelle nous sommes habitués. Et en même temps, c’est une réalité obligatoire. Si nous ne ralentissons pas, nous allons finir dans le mur. Il faut donc trouver une façon d’arrêter cette surproduction et cette surconsommation. Le fait de moins travailler, de moins produire est une solution. Et cela fait 150 ans qu’on le sait !

Mon personnage n’est que le énième, dans une longue liste, à proposer cette idée. Dans les années 1930, l’économiste Keynes expliquait qu’un siècle après, le PIB des pays occidentaux allait être multiplié par quatre et donc que le temps de travail allait être également divisé par quatre. Or, ce que rappelle mon personnage, c’est qu’effectivement le PIB a été multiplié par quatre mais que le temps de travail n’a quant à lui que légèrement diminué : l’équation n’est pas complète. Et pourquoi ? Parce qu’on a inventé toute une série de nouveaux besoins obligeant à travailler autant qu’avant.

Pendant les débats sur la réforme des retraites, des élus et des manifestants ont également rappelé le "droit à la paresse", parfois même en reprenant la couverture de votre livre. Or, ce mot "paresse" est très mal perçu. Pourquoi ?

H. K. : Le mot "paresse" est souvent connoté péjorativement, et renvoie souvent à la notion de flemme ou de glande. Chez Paul Lafargue, la paresse signifie simplement "non-travail", c’est-à-dire une libération de l’esclavage moderne qu’est le salariat. Mais ce problème de vocabulaire est important à prendre en compte. Dans Paresse pour tous, Émilien Long passe son temps à bien expliquer que la paresse, ce n’était pas la flemme, mais bien le fait d’obtenir plus de temps libre pour en faire quelque chose d’utile, pour soi et pour la société. Et dans La Vie est à nous, alors qu’il est président, il propose d’utiliser un autre mot plus global, celui de "coliberté". Nous nous libérons du temps non pas pour se recentrer vers une forme d’individualisme égoïste, mais bien pour le collectif. Nous avons plus de temps pour construire un projet commun. 

Les effets de ce projet commun, comme vous l’appelez, sont difficilement quantifiables. Comment pourrions-nous mesurer les bienfaits réels de cette réduction du temps de travail ?

H. K. : Nous savons très bien mesurer aujourd’hui le temps de travail salarié, le PIB ou encore la productivité. En revanche, nous ne mesurons pas, ou presque pas, le travail non-salarié. Nous n’avons jamais mesuré le temps d’activité des personnes retraitées ou dites "inactives" alors qu’en réalité ces personnes sont souvent très actives, dans le monde associatif par exemple. Le ministère de l’Économie et des Finances, premier producteur de statistiques économiques, n’a pas beaucoup d’appétence pour mesurer les retombées effectives du secteur non-marchand, d’où le fait qu’on ait une vision très biaisée de nombreux enjeux.

Or ce que je montre avec ces deux romans, c’est que l’activité salariée n’est pas le seul poumon de notre société. Et voilà pourquoi dans La Vie est à nous, le gouvernement décide de ne plus seulement mesurer la croissance brute, c’est-à-dire la croissance économique et l’accroissement de la productivité, mais de mesurer une croissance nette, ingérant tous les effets positifs et négatifs de chacun des choix politiques pris. Si nous réduisons le temps de travail, nous améliorerons l’état psychique des salariés. Cela aura pour conséquence la réduction de la prise d’anxiolytiques, du nombre de burn-out ou encore d’arrêts-maladie. Et cela aura forcément un impact positif sur la sécurité sociale qui sera moins sollicitée. De même si l’on interdit l’usage des pesticides, alors que dans un premier temps on aura l’impression de baisser la productivité en raison d’un rendement à l’hectare (légèrement) inférieur, en réalité, nous y gagnerons du côté de la santé, avec une réduction du nombre de cancers ou de maladies liées à ces intrants – sans compter la hausse de la biodiversité, qui est fortement impactée par les intrants chimiques utilisés dans l’agriculture conventionnelle.

Comme vous l’évoquez dans vos romans, ne revient-il pas à la société civile (d’où vient d’ailleurs Emilien Long) d’ouvrir le chemin et de forcer le monde politique de s’emparer de ces questions ?

H. K. : Dans La Vie est à nous, j’aborde la thématique qui démontre qu’aujourd’hui, ce sont ceux qui sont les plus aptes à briguer des postes de pouvoir qui les obtiennent à la fin – et ce en dépit de toute logique, car les qualités qu’il faut pour arriver tout en haut d’une pyramide (sentiment de toute-puissance, désir de prendre la place des autres, etc.) n’ont pas grand-chose à voir avec celles nécessaires à l’exercice de fonctions publiques d’État (prise en compte de la cohérence d’une société, souci du bien-être général, etc.).

Il faut donc profondément remettre en question la façon dont on délègue le pouvoir à des représentants : non seulement en s’appuyant sur des gens qui sont doués des deuxièmes qualités plutôt que les premières, mais aussi en repensant la manière d’organiser l’exercice du pouvoir. Et en comprenant bien que ce ne sera jamais une seule personne qui sera la solution, mais bien un continuum entre des idées et les façons idoines de les incarner collectivement.

Pourrions-nous un jour envisager de vivre dans un monde décroissant, comme y aspire votre personnage ?

H. K. : Nous arrivons de toute façon au bout de l’hyper productivité, ce système est désormais clairement voué à l’échec. Nous avons déjà largement massacré la planète (au sens large) et si nous continuons, le peu qu’il nous reste pour respirer va disparaître. Évidemment, vivre dans un monde décroissant peut être inquiétant, voire déstabilisant, pour des gens qui ont été biberonnés à la croissance. C’est d’ailleurs pour cela que je pense qu’il est important de trouver des termes alternatifs positifs pour rendre ce projet plus désirable. À la place de "décroissant", nous pourrions plutôt parler de "bien-vivre", dans une forme d’équilibre entre nos besoins et le monde qui nous entoure. En mettant des mots en accord avec les enjeux réels, il sera déjà plus facile de faire bouger les lignes.

Propos recueillis par Blandine Garot

Hadrien Klent, La vie est à Nous, éditions Le Tripode, mai 2023, 19 euros

Hadrien Klent, Paresse pour tous, éditions Le Tripode, collection Météores, 10 euros


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