Publié le 10 novembre 2014
GOUVERNANCE D'ENTREPRISE
Affaire LuxLeaks : la fiscalité, un sujet de responsabilité d’entreprise
LuxLeaks, c’est le surnom d’un vaste scandale financier, révélé le 6 novembre 2014. 340 multinationales s’y trouvent épinglées pour avoir passé des accords fiscaux secrets avec le Luxembourg grâce au service de PWC, la firme d’audit et de conseil. Ces 28 000 pages de documents, épluchées par un consortium international de journalistes et publiées dans une quarantaine de médias, montrent que des milliards d’euros d’impôts ont ainsi échappé, entre 2002 et 2010, à des pays dont les entreprises incriminées utilisaient les infrastructures, les services publics et employaient du personnel formé dans leur système éducatif.

© ABM / FH / S.Ramis / A.Bommenel / AFP
" Game over ?" C’est le titre de l’une des études publiées sur les LuxLeaks par les nombreux experts de l’investissement responsable qui sentent, depuis quelques mois, le vent tourner. Utopies a été l’un des premiers à rebondir sur l’affaire en publiant le jour même, le 6 novembre, une note de position intitulée "La responsabilité fiscale, nouvelle frontière de la responsabilité sociale ? ". L’agence a lancé, dans la foulée, un groupe de travail destiné à mobiliser les entreprises sur le sujet.
De l’optimisation fiscale à l’évasion
Né en 2003 avec l’initiative sur la transparence des entreprises extractives, le mouvement visant à inciter les entreprises à détailler, pays par pays, les informations sur les bénéfices qu’elles y réalisent et les impôts qu’elles y acquittent, ciblait les pays en développement.
Dix ans plus tard, c’est devenu un sujet européen. En Grande-Bretagne, les initiatives se multiplient, notamment à travers des appels au boycott contre les champions de la défiscalisation que sont Starbucks ou Amazon. Et "Le Guardian", journal de référence outre-Manche, consacre même un site, Tax Gap, dédié au sujet.
Tax Gap montre, chiffres à l’appui, le manque à gagner que représente pour le pays les stratégies fiscales des 100plus grandes entreprises cotées à Londres et les convertit en données concrètes, par exemple en nombre d’écoles à financer.
Changement de paradigme
Cette initiative symbolise un changement de paradigme et l’émergence de l’idée d’un impôt juste que devraient verser les entreprises. Comme l’explique Utopies : "Dans cette vision émergente, l’impôt n’est plus considéré comme un coût à éviter, mais comme un 'juste retour' aux communautés qui ont permis l’existence même du profit ; et la fiscalité n’est plus un sujet technique et complexe réservé aux spécialistes, mais un enjeu stratégique impactant directement la réputation et pour lequel les décisions doivent, de manière croissante, se prendre au plus haut niveau, en accord avec les principes d’action et les valeurs de l’entreprise."
Cette vision est partagée par certains investisseurs responsables qui sont de plus en plus nombreux à vouloir ajouter la transparence fiscale et l’optimisation excessive à la notation extra-financière des entreprises. Ils souhaiteraient pouvoir investir dans des entreprises dont les stratégies ne mettent pas en péril l’économie réelle. Il y a un an, l’affaire Sanofi, dénoncée par l'hebdomadaire "l’Humanité", mettait en balance la stratégie d’optimisation fiscale du groupe pharmaceutique, qui lui permettait de ne payer que 8% d’impôts sur ses bénéfices réalisés en France, avec les plans sociaux qui conduisent à la suppression de 2000 postes dans le même pays.
Dans la grande entreprise de lobbying sur la RSE (Responsabilité sociétale des entreprises) et les obligations de reporting, l’affaire LuxLeaks marque une nouvelle étape. La transparence fiscale devrait devenir l’un des critères clefs, non seulement pour les secteurs financiers et numériques, mais aussi pour toutes les entreprises multinationales, quelles que soient leurs activités.