Publié le 12 avril 2016
GOUVERNANCE D'ENTREPRISE
Evasion fiscale : La Commission européenne veut imposer un reporting public pays par pays aux multinationales
Dix jours après les révélations des Panama Papers, la Commission européenne présente une proposition qui vise à renforcer la transparence des multinationales actives dans l’Union européenne. Celles-ci devront publier chaque année un reporting sur le lieu où elles réalisent leurs bénéfices et celui où elles paient leurs impôts. Le périmètre va au-delà des pays de l’Union européenne et concerne également les paradis fiscaux inscrits dans une nouvelle liste noire qui sera prochainement actée par les États membres. Décryptage.

Jonas Hamers BELGA MAG BELGA
De 50 à 70 milliards d’euros. En manque à gagner, c’est ce que coûte chaque année l’évasion fiscale des entreprises en Europe aux États membres. Et pour les entreprises, cela pose un sérieux problème en termes de concurrence et d’équité. Car l’écart entre les firmes qui utilisent ces pratiques et celles qui paient leurs impôts là où elles sont implantées peut aller jusqu’à 30%.
Pour lutter contre ce fléau, la Commission européenne a dévoilé ce mardi une proposition très attendue. Elle concerne le reporting public pays par pays.
En mars dernier, les États membres de l’Union avaient approuvé au niveau politique le reporting pays par pays pour certaines entreprises multinationales à destination des autorités fiscales de l’Union, dans le cadre du plan d’action BEPS de l’OCDE. Mais ce reporting n’avait pas vocation à être public. De même, la France s’était opposée en décembre dernier à la publicité de ces informations, expliquant vouloir attendre les mesures de Bruxelles.
Dans sa proposition de réforme de la directive comptable de 2013 (directive 2013/34/UE), la Commission européenne va donc plus loin. Elle s’est prononcée pour la publicité du reporting fiscal pays par pays après avoir mené une large consultation auprès de 400 représentants d’entreprises, d’associations patronales, d’ONG, de citoyens et de think-tanks, et rédigé une étude d’impact sur le sujet.
6 500 entreprises concernées
Ce reporting annuel sera obligatoire pour toutes les entreprises ayant une activité dans l’Union européenne et un chiffre d’affaires global supérieur à 750 millions d’euros. Les entreprises étrangères ayant des filiales dans l’UE et dont le chiffre d’affaires dépasse ce seuil sont également concernées. Tout comme les établissements bancaires non européens mais implantés dans l'UE.
6 500 entreprises au total seraient ainsi visées selon les estimations de la CE. Elles représenteraient 90% du chiffre d’affaires de toutes les multinationales. Cet exercice de transparence se fera pays par pays au sein des pays membres de l'Union. Hors UE, les entreprises seront tenues de réaliser ce reporting pour chacune des juridictions qui ne respectent pas les normes internationales de bonne gouvernance dans le domaine fiscal. La Commission assure établir aussi vite que possible la première liste de ces paradis fiscaux. Une liste noire qui, cette fois, sera commune à l’ensemble de l’Union Européenne. Enfin, pour les autres pays hors UE, les entreprises devront simplement fournir des données agrégées.
Le reporting fiscal inclut des informations sur la nature des activités, le nombre de salariés, le chiffre d’affaires, les bénéfices avant impôts, les impôts dus et payés, et enfin les revenus cumulés. Ces informations devront être accessibles au public et ainsi être diffusées, pendant cinq ans au moins, sur le site internet de l'entreprise. "L’objectif sera de vérifier si les multinationales paient bien leurs impôts là où elles sont actives. C’est une proposition équilibrée qui va permettre de renforcer la responsabilité des multinationales, tout en protégeant la compétitivité des PME, juge Jonathan Hill, commissaire européen à la Stabilité financière, aux Services financiers et à l'Union du marché des capitaux. Elle va aussi réintroduire de la confiance dans les entreprises et les systèmes de taxation auprès du grand public".
"Transparence à la carte"
Les ONG dénoncent de leur côté "une transparence à la carte, insuffisante" pour lutter efficacement contre les paradis fiscaux. "Certaines multinationales pourront continuer de cacher leurs bénéfices en Suisse ou dans l’État du Delaware aux États-Unis, qui ont très peu de chances de se retrouver sur une liste noire. Sans l’ensemble des informations sur les activités dans tous les pays où les entreprises sont présentes, il sera impossible de déceler les montages d’évasion fiscale" commente Manon Aubry, responsable de plaidoyer sur la justice fiscale et les inégalités d’Oxfam France.
Elles sont par ailleurs nombreuses à regretter que le "reporting" ne s’applique pas aux entreprises réalisant un chiffre d’affaires d’au moins 40 millions d’euros, seuil retenu par l’UE pour définir les grandes entreprises dans le reporting bancaire. Enfin, sur les informations fournies, les sociétés ne seront pas contraintes de divulguer leurs arrangements fiscaux avec les États ("rulings") ou la liste de leurs filiales, "cela alors même que les récents scandales fiscaux montrent qu’une telle liste est loin d’être facilement accessible" ajoute Manon Aubry.
La proposition de directive va désormais être transmise au Parlement européen, qui s’y est montré favorable, et au Conseil de l’Union où il suffit d’une majorité qualifiée des États membres pour qu’elle soit adoptée. La nouvelle directive devra ensuite être transposée dans la législation nationale de tous les États membres de l’Union, dans un délai d’un an à compter de son entrée en vigueur. La Commission européenne prévoit de dresser un premier bilan de la mesure cinq ans après sa transcription.