Publié le 06 mars 2019

GOUVERNANCE D'ENTREPRISE

Bruno Le Maire lance sa taxe Gafa pour mettre la pression sur la communauté internationale

Bruno Le Maire présente en conseil des ministres son projet de loi sur la taxation des géants du numérique, fixée à 3 % du chiffre d'affaires. Il espère que la position de la France fera bouger le reste de la communauté internationale. À commencer par ses homologues européens, qu'il espère convaincre d'adopter une position commune.

Bruno Le Maire AFP Eric Piermont jpg
Bruno Le Maire, le ministre de l'Économie et des finances, présente le 6 mars en conseil des ministres son projet de loi sur la taxation des grandes entreprises du numérique.
@Eric Piermont/AFP

[Mise à jour le 6 mars 2019 à 10h30] C’est un coup de pression que veut mettre le gouvernement sur l’Europe. En proposant au Conseil des ministres du mercredi 6 mars son projet de "taxation des grandes entreprises du numérique", Bruno Le Maire, le ministre de l’Économie et des finances, veut montrer sa détermination à imposer les bénéfices des géants du numérique réalisés en France. Sans attendre le consensus européen.

La date n’est pas innocente. Le conseil Ecofin, qui réunit les ministres européens de l’Économie et des finances, doit justement aborder la question de la taxe sur les services numériques le 12 mars prochain. Celle-ci a été longuement débattue au cours de l’année 2018 sans parvenir à un accord sur une directive. Des pays comme l'Irlande, le Danemark et la Suède restent toujours difficiles à convaincre. "Nous n'atteindrons pas d'accord lors du prochain conseil des ministres européens, reconnaît Bruno Le Maire. Mais je vais proposer de définir une position commune que l'on présenterait dans les prochaines semaines à l'OCDE." Selon lui, l'Irlande s'est même montrée favorable à ces travaux.

La taxe française a donc surtout vocation à faire bouger les lignes. "Tout le monde sait qu’il s’agit d’une solution transitoire en attente d’un régime définitif de taxation internationale", confie Jean-Pierre Lieb, avocat associé chez EY société d’avocats. L’Europe et l’OCDE, travaillent sur la question. Mais pas assez vite. "Depuis que la France a annoncé qu'il y aurait une taxation nationale, les choses bougent à l'OCDE", veut croire Bruno Le Maire.

Un second choix

Et la France n’est pas la seule à réagir. "Plusieurs gouvernements ont dit que si on ne trouvait pas d’accord commun, ils se tourneraient vers un choix de second ordre : des modalités de taxation unilatérale, reprend Jean-Pierre Lieb, en citant notamment le Royaume-Uni, l’Espagne, l’Autriche. Avec toutes les imperfections que cela comporte."

Bruno Le Maire prend donc les devants. La taxe présentée en Conseil des ministres visera les entreprises réalisant plus de 750 millions d’euros de chiffre d’affaires au niveau mondial et plus de 25 millions d’euros de chiffre d’affaires en France. Elle devrait porter sur une assiette large, comprenant la publicité en ligne, l’exploitation des données personnelles et le chiffre d’affaires des plates-formes de mise en relation, pour un taux unique de 3 %.

Pour les ONG réunies dans la "Plateforme paradis fiscaux et judiciaires", le ministre se montre trop timoré. "Si la France veut être crédible dans sa lutte contre l'évasion fiscale, elle doit aller beaucoup plus loin, déclare dans un communiqué Lison Rehbinder, coordinatrice de la plateforme. Cela passe par des mesures de transparence fiscale, sur lesquelles la France se montre désormais bien timide au niveau européen (…)" 

Cette taxe ne devrait viser que de gros opérateurs, une trentaine d’entreprises en tout, et éviter les startups françaises. Une discrimination qui pourrait ne pas plaire à la justice… "Une question peut se poser sur ce caractère ciblé et asymétrique du dispositif. Est-ce une faiblesse juridique par rapport aux règles de l’Organisation mondiale du commerce et aux règles communautaires ?", rappelle l’avocat de chez EY.

Les opérateurs internet vent debout contre la taxe française

L’autre limite consiste à évaluer le chiffre d’affaires taxable. "Cela risque de reposer sur la bonne volonté des opérateurs, estime Jean-Pierre Lieb. Ils sont installés dans des pays à faible taux d’impôt sur les sociétés d’où ils mettent à disposition leurs services. Ils n’ont pas nécessairement une présence physique sur tous les marchés."

L’Association des services internet communautaires (Asic) qui regroupe des opérateurs comme Deezer, Airbnb, Twitter, etc., dont certains seront taxés, estime déjà que les montants de collecte envisagés par Bercy sont faux. "Les entreprises du secteur indiquent que cette taxe sur les activités numériques ne rapporterait pas davantage que 300 millions d’euros, contre 500 millions annoncés par le ministre compte tenu du chiffre d’affaires généré", assure-t-elle. Et l’Asic, forcément vent debout contre ce projet, prévient que ces coûts seront sans doute répercutés sur les consommateurs.

Le ministre français semble toutefois déterminé à passer outre les faiblesses de son dispositif, avec l’espoir de forcer la main aux État encore réticents. A-t-il le choix ? Les opinions publiques sont désormais fortement sensibilisées aux techniques d’optimisation fiscale mises en place par les géants du numérique. 

Eux-mêmes commencent à envisager de montrer patte blanche. L’Asic se prononce ainsi en faveur d’un cadre fiscal international. "Si le montant de l’impôt payé par les acteurs numériques n’est pas équitablement réparti, seule une réforme rapide par l’OCDE sera en mesure de corriger cela sans affecter l’attractivité ou l’emploi en France", déclare l’association.

Pour Bruno Le Maire, les travaux internationaux devraient s'accélérer cette année. "Avec mon homologue américain, nous estimons que si nous y mettons toute notre énergie, nous pourrons obtenir une position commune de l'OCDE d'ici la fin de l'année, déclare-t-il. C'est rapide, mais nous constatons une certaine impatience."

Arnaud Dumas @ADumas5


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