Publié le 29 mai 2015

GOUVERNANCE D'ENTREPRISE

Torchage du gaz : les communautés Egi demandent à Total de se comporter au Nigeria comme en France

Deux représentants nigérians des communautés Egi ont assisté ce vendredi à l’assemblée générale de Total. Ils étaient venus réclamer l’arrêt du torchage du gaz dans le delta du Niger. Ils sont également venus témoigner des problèmes environnementaux et sociaux liés à l’exploitation d’hydrocarbures dans la région. Pour appuyer cette démarche, Les Amis de la Terre et l’Observatoire des multinationales ont publié un rapport mettant en cause les activités de Total à travers ses filiales à l'étranger. Entretien avec Jerusalem Ugorji Ajie, membre des communautés Egi, et Prince Williams Chima, leur avocat.

A gauche sur la photo, Jerusalem Ugorji Ajie, représentant de la communauté EGi, avec son avocat Prince Williams Chima.
Les amis de la Terre

Novethic : Le torchage du gaz, qui consiste à brûler le gaz qui s’échappe du puits lors de l’extraction du pétrole, est une pratique courante au Nigeria. Vous en subissez les conséquences depuis que Total s’est installé à Egiland, il y a plus de 50 ans. Comment votre vie a-t-elle été impactée au quotidien ? 

Jerusalem Ugorji Ajie, membre des communautés Egi : Nos habitations ne sont pas très éloignées de la zone d’exploitation de Total. Le torchage du gaz nous concerne donc tout particulièrement. Par exemple, cela affecte le zinc de nos maisons. Tous les ans, nous devons remplacer nos toits, alors que la structure est faite pour durer normalement une dizaine d’années. Cela a un coût important pour nos communautés.

Par ailleurs, nous avons retrouvé des polluants dans l’eau que nous buvons, et beaucoup de personnes souffrent de problèmes respiratoires. Il se produit également de nombreux accidents. Le plus important a eu lieu en 2012. L’explosion d’un puits a ainsi pollué 142 hectares de terres cultivables. Or, nous sommes agriculteurs, cela nous prive de notre moyen de travail.

Et aujourd’hui encore, l’endroit est à l’identique, rien n’a été fait pour réparer les dégâts causés. Nous ne pouvons pas vivre normalement. De plus, certains membres de ma communauté n’ont pas été indemnisés après cet accident. Cela crée des crispations et divise les familles.

Novethic : Le torchage du gaz a officiellement été interdit au Nigeria en 1984. Comment se fait-il que Total continue à le pratiquer ? 

Prince Williams Chima, avocat des communautés Egi, membre des Amis de la Terre Nigeria : En fait, Total se sert de gouffres juridiques. Certaines exceptions sont autorisées par la loi sous réserve de présenter un certificat qui doit être contrôlé par le ministère du Pétrole. Or, entre 1999 et 2007, ce ministère a été supprimé.

Par ailleurs, les autorisations concernent des terrains bien particuliers, et des périodes qui ne doivent pas excéder six mois. Nous avons demandé à toutes les compagnies pétrolières de nous fournir ces certificats. En vain. Nous avons donc porté plainte contre elles pour leur demander d’arrêter le torchage du gaz, qui constitue selon nous une atteinte à la dignité humaine. L’un des deux procès est toujours en cours.

En revanche, nous avons eu gain de cause contre Shell. La juridiction a estimé la pratique illégale et contraire à la Constitution nigériane. Au vu de cette décision, et étant donné qu’il n’y a qu’une seule Constitution au Nigeria, nous pensons qu’aucune autre compagnie ne devrait continuer à faire du torchage.

Novethic : Vous dénoncez également un énorme gâchis. Quel en est l’ampleur ? 

Prince Williams Chima : Ce ne sont pas mes chiffres mais ceux de la Banque mondiale que je cite. En 2005, elle a publié un rapport estimant que le Nigeria perdait chaque année 2,5 milliards de dollars à cause du torchage du gaz. Et en 2012, elle a affirmé que le Nigeria gaspillait ainsi autant de gaz que ce qu’il faudrait pour subvenir aux besoins de toute l’Afrique subsaharienne !

Tout ce gaz brûlé pourrait être récupéré et être réinjecté dans l’économie nigériane. Cela aurait aussi des conséquences positives sur l’environnement. Mais cela coûte cher en infrastructures et les compagnies ne voient que les bénéfices à court terme.

Novethic : Aujourd’hui, qu’attendez-vous de Total ? Avez-vous le sentiment d’avoir été entendus ? 

Prince Williams Chima : Nous demandons à Total de se comporter au Nigeria comme elle se comporte en France. En France, le torchage n'est pas pratiqué. Pourquoi le pratiquent-ils au Nigeria ? En France, en cas de fuite ou d’explosion de gaz, des actions immédiates sont entreprises. Pourquoi n’est-ce pas le cas au Nigeria ?

Jerusalem Ugorji Ajie : Nous souhaitons également que Total cesse de diviser nos communautés. Ils ne peuvent pas sélectionner certains habitants et les monter contre les autres. Ils doivent traiter tout le monde de la même façon et ne pas créer de conflits entre nous. Diviser pour mieux régner, cela n’est plus acceptable. Total doit parler aux communautés Egi de façon collective.

Prince Williams Chima : Aujourd’hui, si nous n’attendions évidemment pas une victoire, nous avons franchi une première étape et nous avons été entendus. Pour nous, l’important, c’était de montrer que Total n’est pas la meilleure entreprise du monde, comme elle cherche à le faire croire.

Propos recueillis par Concepcion Alvarez
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