Publié le 28 septembre 2018
GOUVERNANCE D'ENTREPRISE
Les pratiques troubles d’Heineken en Afrique
Pratiques marketing hors limites, accointances politiques douteuses, corruption… En Afrique, où le brasseur néerlandais Heineken est fortement implanté, la responsabilité sociétale du groupe semble fortement mise à mal par la réalité de terrain. C’est en tout cas ce qui ressort du livre du journaliste néerlandais Olivier Van Beemen, qui publie en français le fruit de cinq ans d’enquête sur le continent.

@ruedelechiquier
"Le commerce de la bière en Afrique rapporte beaucoup d’argent, mais ce n’est pas chose facile" avec un niveau de vie de la population qui reste faible, des infrastructures défectueuses, des guerres et des coups d’État qui n’en finissent pas de miner certains pays. Heineken, le brasseur néerlandais, y fait pourtant un commerce florissant depuis de nombreuses années. Dans une enquête fouillée (1), nourrie de près de 400 entretiens et de reportages dans 12 pays africains, sur cinq ans, le journaliste Olivier Van Beemen, nous dévoile les dessous pas si propres du succès du géant de la bière sur le continent africain.
Corruption, évasion fiscale, pratiques marketing aux limites de l’exploitation sexuelle avec l’emploi de prostituées au Nigeria pour vendre de la bière à leurs clients, projets de développement locaux pas si gagnant-gagnant, travail des enfants, collaboration avec des criminels de guerre lors du génocide rwandais… Les accusations du journaliste sont nombreuses et graves. Elles remettent en cause le "mythe d’une entreprise vertueuse et soucieuse du développement durable", et d’un symbole national.
Pratiques structurelles
La multinationale a très bonne presse aux Pays-Bas et ailleurs dans le monde, on y loue ses efforts en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre mais aussi certains de ses programmes africains comme la lutte contre le VIH qui a été un vrai succès. Mais ces bonnes pratiques ne doivent pas occulter les dérives que le journaliste a pu observer sur le terrain.
"Ce qui est terrifiant, c’est quand on se rend compte que les mauvaises pratiques ne sont pas des incidents mais qu’il s’agit au contraire de pratiques structurelles, observables sur plusieurs pays, avec un certain sentiment d’impunité. Et que l’entreprise n’apprend pas de ces erreurs", souligne Olivier Van Beemen.
Un premier livre avait été publié il y a trois ans, uniquement en néerlandais. Depuis, le journaliste affirme ne pas avoir vu beaucoup de changements. Certes, pour le deuxième opus, la direction a accepté de le rencontrer, à de nombreuses reprises. Mais si elle s’affirme "ouverte au débat et à la critique", elle assure que de "nombreuses affirmations se basent sur des rumeurs, des interprétations erronées et des propos sortis de leur contexte".
Des conséquences limitées
Dans un document destiné à Novethic, Heineken s’explique en détail sur plusieurs accusations portées par le journaliste. Sur la question de la prostitution, Heineken assure avoir "immédiatement agi en conséquence", en commanditant un audit externe dans 17 pays. "Aucune allégation de prostitution consensuelle ou contrainte n’a été formulée" et une "nouvelle politique" visant à "garantir de meilleures conditions de travail pour les promoteurs de la marque" est en cours de déploiement, souligne le groupe.
Quant au fait qu’Heineken "brassait de la bière pour les génocidaires", comme le rapporte le journaliste, le groupe affirme que la direction n’avait pas le contrôle de son usine à ce moment-là et n’a "donc jamais pris part" à de tels agissements.
Aujourd’hui, l’enquête ébranle tout de même la firme. Traduite en français et bientôt en anglais, elle se diffuse de plus en plus largement dans les médias. Et lors de sa dernière assemblée générale, qui s’est tenue quelques semaines après la parution du livre en néerlandais le PDG du groupe, Jean-François van Boxmeer a dû s’expliquer de lui-même sur la politique africaine du groupe et répondre à des questions de ses actionnaires sur le sujet.
Lors d’un débat au parlement néerlandais sur la RSE (responsabilité sociétale des entreprises), le cas Heineken a également conduit à l’adoption d’une résolution demandant au gouvernement de combattre les violations de droits humains, incluant le harcèlement sexuel et l’exploitation des femmes par les entreprises.
Béatrice Héraud @beatriceheraud
(1) Heineken en Afrique, une multinationale décomplexée, Olivier van Beemen, éditions Rue de l'échiquier, 2018, 20 euros.