Publié le 16 juin 2017

GOUVERNANCE D'ENTREPRISE

Financement du terrorisme en Syrie : Comment éviter un autre cas Lafarge ?

Alors qu’une information judiciaire vient d’être ouverte contre Lafarge pour financement du terrorisme en Syrie, les experts rappellent l’importance de placer la logique éthique sur le même plan que la logique financière. Un impératif au moment où la France a adopté sa loi sur le devoir de vigilance et que l’ONU travaille sur la mise en place d’un traité contraignant sur le respect des droits de l’Homme par les entreprises.


Une instruction judiciaire vient d’être ouverte contre le cimentier franco-suisse pour "financement d’entreprise terroriste" et "mise en danger d’autrui". L’enquête devra établir les liens entre LafargeHolcim et des organisations terroristes syriennes - dont l’Etat islamique - lors de sa période d’activité en Syrie (2012-2014).

Début mars, LafargeHolcim a admis avoir eu recours à des arrangements "inacceptables" pour maintenir en activité sa cimenterie de Jalabiya, jusqu'à sa saisie par l'État islamique. Comment une entreprise, pourtant décrite comme pionnière dans la RSE, a-t-elle pu déraper à ce point ?

Moins de 1 % du chiffre d'affaires

"L’embargo sur Daech aurait dû être une alerte pour l’entreprise. Elle aurait dû se poser la question de son maintien sur place même s’il n’est pas toujours aisé de partir et d’abandonner ses salariés, réagit Nicolas Berland, co-directeur de la chaire Ethique et gouvernement d'entreprise de l'université Paris-Dauphine. Il est d’autant plus difficile d’expliquer ce dérapage que sa filiale syrienne représente moins de 1% de son chiffre d’affaires." D'autres entreprises se sont montrées plus promptes malgré des enjeux financiers plus importants. Par exemple, le pétrolier Total avait quitté les lieux dès l’éclatement du conflit.

"Ce que je perçois comme point commun entre les différentes entreprises qui font face à ce genre de situation, c’est une décapitalisation de l’expertise (Lafarge a changé de direction à plusieurs reprises), un manque d’ancrage de la RSE (Responsabilité Sociétéale de l'Entreprise) dans la gouvernance et une pression insuffisante des parties prenantes", explique Patrick d’Humières, consultant et expert de la RSE.

La logique éthique devant le business

Dès lors, l’attitude à adopter pour les entreprises implantées en zones de conflits, est de se demander, conformément aux principes directeurs de l’ONU, si "elles sont toujours capables de respecter les droits fondamentaux", précise Cécile Renouard, philosophe et économiste, professeure à l'École des Mines et à l'Essec. "Cette question doit passer devant la logique du business. En s’inscrivant dans cette démarche, les entreprises en risque ont les moyens de prendre la bonne décision et de se retirer quand c’est nécessaire mais cela implique d’accepter de renoncer aux investissements entrepris sur place, voire de subir des pertes colossales."

La spécialiste regrette ainsi qu’il y ait toujours eu un décalage chez le cimentier entre ses déclarations et la réalité sur le terrain, la logique financière primant toujours. "Il y a de vraies tensions dans les objectifs de Lafarge qui veut à la fois être le numéro un mondial du ciment et à la fois contribuer à rendre le monde meilleur, pointe-t-elle. Peut-être que l’attitude à adopter est d’oser avouer ses difficultés plutôt que de vouloir toujours afficher le bon côté. Le retour de bâton est d’autant plus violent dans l’opinion publique."

Des dérapages de plus en plus coûteux

Pour le groupe, l’éclatement de l’affaire a provoqué un véritable tollé dans la presse, l’ouverture d’une information judiciaire, la démission de plusieurs directeurs et déjà la perte de certains partenariats (notamment de la part de la Mairie de Paris). "Les dérapages ont toujours existé, en revanche, ce qui change aujourd’hui c’est leur coût financier et l’importance de la judiciarisation" note Patrick d’Humières.

En France, la loi sur le devoir de vigilance promulguée en mars oblige les grandes entreprises à mettre en place des plans de vigilance permettant de prévenir des atteintes aux droits de l’homme dès cette année.

Concepcion Alvarez @conce1

Pour en savoir plus, retrouver notre dossier sur la supply chain et les droits de l’homme


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