"Combien de temps les consommateurs seront-ils prêts à cautionner le cynisme d’une entreprise qui soutient les destructions et pollutions du chantier A69 ?", interroge le collectif La voie est libre. Pour continuer de mobiliser contre l’autoroute entre Paris et Castres, dont la construction a débuté, ils ont imaginé un nouveau mode d’action : le boycott. Et ils ont pris pour cible l’entreprise Pierre Fabre, qui a joué un rôle "déterminant" dans le lancement du projet et qui continue à faire pression sur le gouvernement pour qu’il voit le jour.
#A69 Faite tourner cette vidéo. On ne peut plus cautionner le Greenwashing de ces grandes firmes qui nous envoi dans le mur. Ouvrez le dialogue @pierre.fabre.group et l’on pourra ressortir toutes et tous la tête haute. pic.twitter.com/oAt5tRuYGg
— GNSAGroupe National de Surveillance des Arbres (@GNSA_arbres) November 27, 2023
Plusieurs personnalités soutiennent ainsi ce boycott, à l’instar de Thomas Brail, l’activiste qui avait mené une longue grève de la faim. De même que la militante Camille Étienne, dont la vidéo sur Instagram a déjà été likée plus de 40 000 fois. Le boycott est aussi soutenu par Extinction Rebellion et Greenpeace Toulouse. Une campagne d’affichage et de stickage est aussi prévue partout en France jusqu’à la fin de l’année.
Risque de réputation
Derrière ce projet autoroutier "d’un autre temps", comme le décrivent ses détracteurs, il y a en effet le groupe pharmaceutique et dermo-cosmétique, implanté à Castres depuis 60 ans et principal employeur privé de la région. Cette autoroute, défendue depuis le début des années 2000 par Pierre Fabre en personne, devait permettre de connecter les salariés du groupe et de faire transiter plus facilement ses marchandises. Un lourd héritage que continuent de soutenir les dirigeants de l’entreprise mais aussi les élus qui y sont directement ou indirectement liés, malgré une opposition de plus en plus forte.
Si l’entreprise, qui compte 9 600 collaborateurs dans le monde, dont 5 300 en France, n’est pas cotée en bourse, et est majoritairement contrôlée par une Fondation reconnue d’utilité publique, elle s’expose à un risque d’image et de réputation auprès du grand public. Le nom Pierre Fabre n’est pas forcément connu, mais ses produits, eux le sont, à l’instar d’Avène, Aderma, Klorane, Ducray ou encore René Furterer. Selon l’étude "What Price Reputation ?" réalisée par le réseau H/Advisors et publiée en 2019, "la réputation d’entreprise contribue à hauteur de 38% à la capitalisation boursière du CAC40". Et à l’échelle mondiale, plus d’une société sur cinq a subi une dégradation de sa capitalisation boursière en raison d’une mauvaise réputation.
Salariés inquiets
Cette nouvelle attaque contre l’entreprise inquiète également les salariés, selon une source syndicale contactée par Novethic et "discrètement" opposée au projet d’A69. "On voit passer les appels au boycott sur les réseaux, soutenus par Camille Étienne, qui compte 350 000 followers, et on se dit que ça va forcément avoir des conséquences pour l’entreprise", explique-t-il sous couvert d’anonymat. "On ne comprend pas cette obstination pour un projet qui aurait été utile dans le temps mais plus maintenant".
Au-delà de l’A69, il raconte un "régime de la terreur" et "une déficience au niveau de la démocratie au sein de l’entreprise avec une vision très XXe siècle des conditions de travail et de l’écologie". Pierre Fabre a pourtant été classée en 2021 parmi les 750 meilleurs employeurs du monde par Forbes, et dans le peloton de tête de ses deux secteurs d’activité (Top 10 dans les produits de santé, Top 3 dans les produits cosmétiques). Sa démarche RSE a aussi été labellisée par l’Afnor au niveau “exemplaire” en 2022, en faisant le premier groupe industriel de plus de 5000 salariés à être labellisé à ce niveau.
Fin de partenariat
Malgré ce beau palmarès, son soutien à l’A69 a des conséquences concrètes aujourd’hui. L’association castraise Envol vert, spécialisée dans la protection des forêts, a ainsi cessé son partenariat avec Pierre Fabre en novembre 2022, après avoir collaboré avec elle pendant trois ans. "On avait une trentaine de collaborateurs de l’entreprise qui plantaient régulièrement des arbres auprès des agriculteurs avec lesquels on travaille sur le programme ‘Au pré de mes arbres’", explique à Novethic Boris Patentreger, le président de l’association.
En septembre 2022, le groupe publie une lettre ouverte, adressée à La Voie est libre, dans laquelle il soutient explicitement le projet d’A69. "On leur a demandé d’arrêter ce soutien qui annihilait complètement le travail que nous menons au sein de l’association. Ils nous ont répondu par la négative et nous avons donc décidé de cesser notre partenariat", poursuit Boris Patentreger. De nouveau contactée par Novethic, Pierre Fabre n’a pas souhaité s’exprimer.
Concepcion Alvarez