L’an dernier, au mois de janvier, plusieurs patrons du CAC40, du Dow Jones et d’autres grands indices planétaires recevaient une lettre les exhortant à mieux prendre en compte le bien commun. Rien à voir avec un rapport d’ONG. Celle-ci émanait de Larry Fink, le patron du plus gros gestionnaire d’actifs au monde, qui gère 6 000 milliards de dollars (deux fois le PIB de la France). Moralisatrice ou déplacée ? La lettre n’avait pas fait l’unanimité. Mais son contenu a largement alimenté les conversations dans le monde des affaires.
La missive de 2019 est dans le même ton. Son titre, "raison d’être et bénéfices", devrait particulièrement résonner chez les patrons français. Elle apparaît à l’heure où la loi Pacte, actuellement sur la table des sénateurs, va justement inscrire dans le droit la possibilité pour les entreprises d’inscrire leur raison d’être dans leurs statuts.
Après une longue explication sur les bénéfices de cette démarche, dans une optique de performance globale de l’entreprise, Larry Fink explique notamment comment BlackRock se saisit de cette question dans son dialogue actionnarial.
Comprendre comment la raison d’être oriente la stratégie et la performance
"Au cours de cette année, notre équipe a commencé à parler aux entreprises de leur raison d’être et de la façon dont elle l’aligne avec la culture et la stratégie d’entreprise, assure-t-il. Nous avons été encouragés par la détermination des entreprises à s’engager avec nous sur cette problématique. Nous n’avons pas l’intention de dire aux entreprises quelle devrait être leur raison d’être — c’est le rôle de votre équipe de direction et de votre conseil d’administration. Nous cherchons plutôt à comprendre comment la raison d’être d’une entreprise oriente sa stratégie et sa culture afin de soutenir une performance financière durable."
Autres sujets mentionnés par Larry Fink : la nécessité d’un leadership dans un monde divisé, notamment socialement, et le besoin de travailler son ancrage territorial. "Dans un contexte où les divisions s’accentuent, les entreprises doivent démontrer leur engagement envers les pays, les régions et les communautés où elles exercent leurs activités, en particulier sur des questions essentielles à la prospérité de demain." Des questions qui ont un sens particulier au moment où le mouvement des gilets jaunes et le Grand débat national posent la question de la répartition entre l’action publique et privée.
BlackRock, pas si exemplaire
Si les thématiques posées par la lettre peuvent alimenter le débat, pas question d’en faire parole d’évangile, opposent certains. "En prenant de telles positions,demandant par exemple à la direction exécutive de clarifier sa raison d’être, BlackRock pose aussi les premiers jalons d’une protection de l’investisseur au regard de sa responsabilité fiduciaire de plus en plus questionnée, notamment sur les questions climatiques", souligne Farid Baddache, managing director du réseau international d’entreprises BSR.
Par ailleurs, il faut savoir que le pouvoir de BlackRock sur les entreprises est limité puisqu’une partie des actifs est gérée sous forme de fonds indiciels. Et quand il le peut, le fonds ne fait pas toujours suffisamment usage de son influence. S’il a récemment introduit une série de fonds socialement responsables, travaillant sur le climat, l’exclusion sur le charbon, le tabac ou les armes à feu, sa politique est loin d’être exemplaire.
C’est notamment ce qu’on voulut rappeler les auteurs, dont on ne connaît pas encore l’identité, d’une fausse lettre annuelle de Larry Fink. Envoyée dans la semaine, mini-site à l’appui, celle-ci annonçait que BlackRock planifiait un retrait total des entreprises engagées dans les énergies fossiles et écarterait de ses investissements toutes celles qui ne seraient pas en ligne avec l’Accord de Paris.
Un vœu pieux puisque si la vraie lettre mentionne bien les enjeux environnementaux, elle omet de citer explicitement la lutte contre le changement climatique. Pourtant ses conséquences figurent en tête des préoccupations des décideurs internationaux, dans le rapport publié en amont du forum économique mondial de Davos.
Béatrice Héraud @beatriceheraud
Publié le 18 janvier 2019
Chaque année, début janvier, le patron du plus grand gestionnaire d’actifs au monde envoie une lettre aux dirigeants des entreprises dans lesquelles il investit pour ses clients, dont une bonne partie du CAC40. La livraison 2019 résonne particulièrement en France en pleine crise des gilets jaunes.
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