Publié le 16 mai 2014
GOUVERNANCE D'ENTREPRISE
Multinationales : quel rôle pour les actionnaires dans l’application des règlementations nationales ?
Avec le décret sur les investissements étrangers dans des entreprises stratégiques françaises, Arnaud Montebourg, le ministre de l’Economie, relance une nouvelle fois le débat sur le patriotisme économique. Mais une question subsiste : comment faire prévaloir un point de vue national dans des entreprises multinationales ? Des firmes dont l'actionnariat local est souvent très minoritaire. En Suisse, c'est le combat que mène la fondation Ethos. Son dernier fait d'arme : batailler contre les plans de rémunération des dirigeants d'UBS et du Crédit Suisse pour faire respecter le vote de la population sur les rémunérations excessives.

© Vincent Baillais
L’engagement actionnarial. Cette arme est de plus en plus fréquemment utilisée par Les investisseurs institutionnels adeptes de l’investissement responsables. Ce levier n’a pourtant pas été évoqué dans l’affaire Alstom. Les débats autour du rachat de l’entreprise par General Electric se focalisent sur le rôle éventuel de l’Etat. C’est ce dont témoigne la publication, ce jeudi 15 mai, du décret qui étend à l’énergie la notion de secteurs stratégiques. Ce qui permet de justifier la consultation du gouvernement en cas de rachat d’une entreprise comme Alstom. Les actionnaires, qui seront réunis en assemblée générale le 1er juillet prochain, savent qu’il est probable qu’ils n’auront pas voix au chapitre.
Or, dans la mise en œuvre de décisions politiques et législatives, le rôle des investisseurs nationaux engagés dans des entreprises massivement détenus par des capitaux étrangers peut être clef. C’est ce que démontre l’exemple suisse sur la mise en œuvre du référendum encadrant la rémunération des dirigeants de grandes entreprises.
L’exemple suisse
En mars 2013, la confédération hélvète adoptait par référendum la limitation des rémunérations excessives des grands patrons. Un an plus tard, la mise en place de cette mesure s’avère difficile. A l’occasion des assemblées générales (AG) d’UBS et du Crédit Suisse, qui ont eu lieu récemment, Ethos, une fondation pour l’investissement responsable et l’actionnariat actif, a appelé à voter contre les plans de rémunération proposés par les deux banques. Les deux établissements se sont inflitrés dans les failles du dispositif. "C’est de plus en plus difficile de décrypter les modes de calcul des rémunérations variables proposés au vote", explique Dominique Biedermann, le directeur d’Ethos. " Un exemple : l’interdiction des parachutes dorés, prévue par le référendum, est contournée. Ils sont remplacés par des clauses de non concurrence d’un montant exorbitant " !
Pour mobiliser les actionnaires, la fondation Ethos a dénoncé une hausse de 28 % des plans de rémunération variable à UBS et de 6 % au Crédit suisse. Ces enveloppes, de 2,62 milliards d’euros dans le premier cas et de près de 3 milliards d’euros dans le second, sont destinées aux 500 personnes qui, dans chacun de ces établissements, prennent les risques financiers les plus importants. "Nous avons dénoncé ces dispositifs parce qu’ils coexistaient avec des provisions très importantes (plus d’un milliard d’euros à UBS comme au Crédit Suisse) pour leurs divers problèmes juridiques ", explique Dominique Biedermann. Il ajoute : "Comment approuver des rémunérations de ce montant dans des groupes bancaires qui ont des risques aussi coûteux. Les scandales impliquant UBS se sont multipliés : la crise des subprimes, la perte de 2,3 milliards de dollars à cause d’un seul trader et les poursuites pour manipulations de taux ! "
Vote national, actionnaires étrangers
Et pourtant…Les plans de rémunération ont été adoptés par les AG des deux banques avec des taux d’approbation légèrement supérieurs à 80 %. " Nous n’avons pas mobilisé au-delà des investisseurs helvètes ", déplore le directeur de la fondation Ethos. " Entre deux tiers et trois-quarts des actionnaires des grandes entreprises de notre pays ne sont pas Suisses et votent en fonction des conseils prodigués par les Américains ISS et Glass Lewis. Nous trouvons les systèmes de rémunération trop généreux. Pas eux ". Pour autant, la fondation Ethos va poursuivre le combat en engageant le dialogue directement avec UBS et Crédit Suisse. Les scores obtenus en assemblées générales lui permettent de faire entendre sa voix auprès des dirigeants de ces multinationales financières. "Le vote ne suffit pas à retourner la situation, il faut convaincre le management. Pour cela nous utilisons aussi notre visibilité médiatique et nous aidons le législateur suisse en mettant en lumière les difficultés d’applications du système de limitation des rémunérations, adopté dans les urnes" précise Dominique Biedermann. Qu’il s’agisse de moraliser le mécénat ou de promouvoir le principe de précaution sur les OGM (organismes génétiquement modifiés), la fondation Ethos utilise cette stratégie. Une méthode qui lui a déjà permis de faire plier Nestlé et Novartis et qui contribue à faire progressivement changer les règles du jeu.