Publié le 21 avril 2016
GOUVERNANCE D'ENTREPRISE
L’engagement actionnarial pousse les entreprises à des objectifs climatiques plus ambitieux (étude Novethic)
Une nouvelle étape vient d'être franchie : vendredi 22 avril, 175 pays ont signé l’Accord de Paris. Mais avant même son entrée en vigueur dans quelques années, les entreprises se voient d’ores et déjà challengées sur leur stratégie climat. C’est en tout cas l'objectif d’un nombre croissant de résolutions d’investisseurs déposées dans les assemblées générales des grands groupes : les faire évoluer vers une stratégie bas carbone. Le centre de recherche de Novethic a analysé cette tendance de fond. Les principaux éléments à retenir.

Amandine Alexandre/Novethic
En amont de l’assemblée générale d’ExxonMobil cette année, pas moins de neuf résolutions portant uniquement sur le climat ont été déposées. L’une d’entre elles, déposée par le contrôleur de l’État de New York, qui gère les 178 milliards de dollars des fonds des régimes de retraite publics de l’État, demande à la compagnie d’évaluer l’impact d’une limitation du réchauffement climatique à 2°C sur son activité. Une autre lui demande de nommer un administrateur disposant d’une expertise environnementale. Une troisième propose à la direction de modifier ses règles de gouvernance, afin de permettre aux actionnaires de nommer directement des administrateurs.
Le cas d’ExxonMobil, qui fait par ailleurs l’objet de plusieurs enquêtes outre-Atlantique sur ses mensonges présumés à propos du changement climatique, est loin d’être isolé. Le dépôt de résolutions aux assemblées générales des entreprises prend une place croissante dans les stratégies d’engagement des investisseurs.C'est ce que montre une étude publiée aujourd'hui par le centre de recherche de Novethic.
L’objectif de ces résolutions est double. D’une part, faire évoluer les entreprises de l’intérieur. D’autre part, profiter de la baisse des émissions de gaz à effet de serre (GES) attendue dans ces entreprises pour leur permettre de tenir leurs propres objectifs de décarbonation des portefeuilles.
Ces cinq dernières années, les résolutions sur le climat ont presque doublé. Et en dix ans, leur nombre a été multiplié par cinq ! 2016 marque une année record avec 170 résolutions déposées, principalement aux États-Unis, mais aussi en Europe, selon les estimations du Centre de recherche de Novethic. Principales cibles de ces résolutions : les entreprises directement liées aux énergies fossiles (voir courbe d’évolution ci-dessous). 114 des 170 résolutions déposées cette année concernent en effet le secteur des hydrocarbures, les producteurs d’électricité et les entreprises minières.
La gouvernance climatique en plein essor
Ces résolutions se focalisent sur des sujets variés : recours aux énergies renouvelables, risques de dépréciation d’actifs, objectif de neutralité carbone, etc. Et sont de plus en plus exigeantes. Les investisseurs ne se contentent plus de demander un reporting sur le développement durable ou les émissions de gaz à effet de serre, mais adoptent des approches beaucoup plus spécifiques.
Cette année, une quinzaine d’investisseurs s’interrogent par exemple sur l’approvisionnement en énergies renouvelables des entreprises dans lesquelles ils investissent. Quelques-uns demandent même aux entreprises de se fixer des objectifs de réduction des émissions compatibles avec une trajectoire 2°C (science based target).
Les résolutions portant sur la gouvernance climatique (ex : nomination d’experts environnementaux dans les conseils d’administration, transparence dans le lobbying climatique ou inclusion de critères ESG dans la rémunération des dirigeants) ont également beaucoup progressé. Le basculement est clair à partir de 2014, avec une baisse des résolutions généralistes et une hausse des résolutions portant sur la gouvernance, cherchant à changer structurellement la manière dont les entreprises font face aux enjeux climatiques.
Avec sa campagne Boardroom Accountabilty Project, le Contrôleur de la Ville de New York, soutenu par les principaux fonds de pension du pays (Etat de New York, CalPERS, CalSTRS, etc.) souhaite ainsi imposer aux entreprises la nomination d’administrateurs par les actionnaires. En 2015, parmi les 75 entreprises visées, 33 étaient liées aux énergies fossiles et ont été ciblées parce qu’elles ne traitaient pas suffisamment les risques climatiques. Elles sont à nouveau une vingtaine cette année.
Un effet levier
Cette pression des actionnaires permet-elle de bouger les lignes ? Un rapport publié en octobre 2015 par le Ceres comptabilise une centaine d’engagements climatiques pris en 2014 et 2015 par des entreprises nord-américaines, à la suite de démarches d’engagement actionnarial. Tout aussi édifiant : un quart des résolutions liées au climat ont été adoptées l’année dernière.
Mais parfois, la résolution n’arrive pas jusqu’au vote et fait l’objet d’un engagement de la part de l’entreprise en amont de l’assemblée générale. Depuis 2011, 255 résolutions (sur 783) ont ainsi été retirées et ont fait l’objet de négociations. Cette année par exemple, le groupe Total a échappé au dépôt d’une résolution lui demandant des explications sur sa stratégie climat. Sous la pression de ses actionnaires, le conseil d’administration a décidé de fournir un rapport sur sa gestion des risques liés au climat lors de son AG du 24 mai prochain.