Ce n’est pas une surprise mais c’est un "cadeau de Noël pour les corrupteurs", selon les mots de Me Vincent Brengarth, l’avocat d’Anticor. L’agrément permettant à l’association de lutte contre la corruption et d’atteinte à la probité n’a pas été renouvelé, a déclaré le 27 décembre à l’AFP une source au ministère des Affaires étrangères. Concrètement cet agrément renouvelé tous les 3 ans et octroyé par le ministre de la Justice, permet aux associations qui le possèdent de se constituer "partie civile". "Sans son agrément, Anticor n’a pas la possibilité de contester le classement sans suite d’une affaire par un procureur et beaucoup de poursuites ne verront pas le jour", souligne l’association dans un communiqué. C’est dire l’importance de ce sésame.
Or depuis 6 mois Anticor attend le renouvellement de son agrément, dont la date butoir légale est justement ce 27 décembre. "Il est minuit passé, chou blanc donc !", réagissait dans un tweet à 00h10 l’association.
L’association Anticor fait face à un refus implicite d’agrément. Cette décision intervient après 6 mois d’instruction par la Direction des Affaires Criminelles et des Grâces durant laquelle aucun reproche n’a été formulé contre l’association. #JeSoutiensAnticor
— Anticor (@anticor_org) December 27, 2023
"Nous allons contester cette décision"
C’est la fin d’un long épilogue entamé en 2020. À l’époque, Éric Dupond-Moretti alors ministre de la Justice est contraint de se déporter car il est lui-même visé par une plainte de l’association. La tâche est confiée au Premier ministre Jean Castex qui renouvelle pour 3 ans l’agrément 1h30 seulement avant la limite. Mais la saga continue : le tribunal administratif annule l’arrêté de Jean Castex, une décision confirmée par la cour administrative d’appel. Le tribunal administratif avait été saisi par deux dissidents de l’association qui estimaient la procédure de renouvellement de l’agrément irrégulière et jugeaient que l’association ne remplissait pas les conditions exigées pour être agréée.
L’association avait donc déposé une nouvelle demande d’agrément. Cette fois encore, le ministre de la Justice Eric Dupond-Moretti se déporte sur la Première ministre Élisabeth Borne. Mais elle-même, comme le rappelle Le Monde, est susceptible d’être visée par deux dossiers portés par Anticor. Elle se déporte, in extremis le 24 décembre vers la ministre de l’Europe et des affaires étrangères Catherine Colonna qui n’a donc pas renouvelé l’agrément. "Nous allons contester cette décision devant la justice administrative et sommes d’une certaine manière soulagés de pouvoir enfin démontrer que l’association remplit bien tous les critères pour être agréée, à l’abri des considérations politiques du gouvernement", a annoncé Élise Van Beneden, présidente du bureau de l’ONG.
Les affaires en cours pourraient être classées sans suite
Créée en 2002, Anticor est impliquée dans plus de 160 procédures dont l’attribution du Mondial de football au Qatar ou encore l’enquête pour prise illégale d’intérêts visant le secrétaire général de l’Élysée Alexis Kohler. Des plaintes d’Anticor ont entraîné des poursuites concernant la cession de la branche énergie d’Alstom à General Electric et une enquête préliminaire dans les contrats russes d’Alexandre Benalla, l’ex-conseiller du président de la République Emmanuel Macron. Quid des procédures en cours ? Plusieurs d’entre elles pourraient être classées sans suite.
Pour rappel, en 2019, la demande d’agrément de Sherpa, autre association majeure dans la lutte contre la corruption n’avait pas été renouvelée. Si aujourd’hui Sherpa a retrouvé son agrément, l’association avait alerté au début de l’année sur les "limites inhérentes à ce dispositif". "L’agrément est délivré par le ministre de la Justice selon des critères vagues", dénonçait-elle. Et de poursuivre : "Seules trois associations sont actuellement agréées anti-corruption en France (Anticor, Transparency International et Sherpa, NDR), et deux d’entre elles ont rencontré d’importantes difficultés pour renouveler leurs agréments". L’association demande ainsi au législateur de se saisir de cette question et de simplifier l’action judiciaire des associations afin "d’améliorer la lutte contre la criminalité économique".
Marina Fabre Soundron avec AFP