Publié le 14 novembre 2018
ENVIRONNEMENT
Déforestation : la France publie sa stratégie mais sans mesure contraignante
Aide aux pays producteurs, nouveau label, campagne de communication... le gouvernement publie sa première "stratégie" pour lutter contre les importations à risque pour la forêt. Un plan interministériel qui prévoit la mise en place de 17 grandes mesures. Mais ce premier pas manque de mesures contraignantes, selon les ONG.

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Avec ses importations de soja, cuir ou huile de palme, la France participe à la déforestation dans le monde. Ces 5 dernières années, ce sont 15 millions d'hectares de forêts qui ont été rasés, à travers l’importation de 7 matières premières critiques, selon un rapport du WWF. Avec sa stratégie nationale de lutte contre la déforestation importée (SNDI) publiée ce mercredi 14 novembre, la France entend y mettre fin d'ici à 2030. Il s’agit d’une première, promise par l'ex-ministre Nicolas Hulot, et attendue depuis le printemps.
L’objectif est de "faire évoluer les pratiques" de tous les acteurs. D'abord les pays producteurs, que le gouvernement voudrait faire bouger via sa politique d'aide au développement. Mais aussi les entreprises françaises qui importent ces produits. Début 2019, une plateforme constituée d’ONG, des pouvoirs publics et des entreprises sera mise en place.
Des mesures incitatives
Les entreprises seront alertées sur les approvisionnements risqués via un renforcement des contrôles aux frontières, les données douanières, le suivi satellitaire des couverts forestiers...Elle sont également poussées à publier des indicateurs dans leur reporting et pourraient devoir intégrer la déforestation importée dans les plans de vigilance. Quant aux acteurs financiers, ils seront "incités" à intégrer "explicitement et systématiquement" ces données dans leurs investissements, grâce à la mobilisation de la Place de Paris et de Finance for Tomorrow.
Ce sont d’abord les matières agricoles les plus sensibles qui vont être concernées : soja, huile de palme, bœuf, cacao, hévéa, bois. D’autres produits de grande consommation (café, coton, maïs, produits miniers...) pourraient être ajoutés lors de points d'étape en 2020 et 2025. Des plans de filière seront chargés de promouvoir des alternatives à ces cultures à risque, notamment au soja utilisé en grande quantité pour nourrir les bêtes. L’Etat lui-même devrait montrer l’exemple avec une politique d’achats publics zéro déforestation, à l’horizon 2022. Enfin pour sensibiliser les consommateurs, un label "zéro déforestation" est attendu d’ici 2020.
Aucune mesure contraignante n’est cependant envisagée à ce stade. Éventuellement, le principe du "name and shame" ("désigner et blâmer"), pourrait être envisagé par le ministère de la Transition écologique.
Les ONG divisées sur l’impact
Pour Pascal Canfin, le directeur général du WWF France, il s’agit d’un "bon plan de travail" sur une question encore en friche juridiquement et qui reste difficile politiquement et diplomatiquement. Mais d’autres ONG sont plus critiques, même si elles saluent ce premier pas auquel elles ont apporté leur contribution. Dans une tribune, FNE, Envol vert ou I-boycott regrettent ainsi un horizon, 2030, trop lointain pour l'action et demandent un engagement plus fort et contraignant aux décideurs publics et privés. "Comment un tel texte, qui ne prévoit aucune interdiction ou mesure réglementaire, pourra-t-il freiner la déforestation ?", interroge de son côté Greenpeace.
L’ONG dénonce également l’incohérence du gouvernement qui "a autorisé Total à importer 550 000 tonnes d'huile de palme par an pour sa bio-raffinerie de La Mède et bloqué la suppression de l'avantage fiscal aux agrocarburants à l'huile de palme". Dans sa stratégie, la France indique qu’elle va plafonner l'incorporation de biocarburants issus de matières premières à risque "selon des critères définis par la Commission européenne en février 2019" et "jusqu'à leur élimination d'ici 2030".
Porter le sujet à échelle européenne
Pour rendre la stratégie plus efficace, la France veut d’ailleurs amener l’Union à se doter d’un plan d’action similaire et prend l'engagement de porter la question de la déforestation importée dans les accords bilatéraux. Mais le ministre de la transition écologique et solidaire prévient : la mise en œuvre de la stratégie sera semée d’embûches. "Des lobbys puissants vont essayer de freiner tout contrôle, toute démarche volontaire de certification, de faire en sorte que rien ne change", a expliqué François de Rugy au Monde.
De 1990 à 2015, le monde a perdu 129 millions d'hectares de forêts, soit huit fois la superficie de la forêt française, selon la FAO. Cette déforestation est responsable de 11% des émissions de gaz à effet de serre mondiales et de fortes pertes d'espèces. Un tiers est à imputer à la consommation de produits agricoles des pays de l'UE.
Béatrice Héraud avec AFP