Publié le 28 janvier 2015
ENVIRONNEMENT
En Chine, la justice fait payer les pollueurs
Un tribunal provincial a condamné un groupe d’entreprises à une amende de 22,5 millions d’euros. Cette décision judiciaire sans précédent illustre l’attention grandissante des autorités pour les problèmes environnementaux. Et montre l’indépendance croissante des tribunaux vis-à-vis des autorités locales.

Greenpeace
22,5 millions d’euros d’amende pour avoir pollué deux rivières, c’est un record en Chine. Fin décembre, un tribunal de la province du Jiangsu a annoncé la condamnation de six entreprises locales de produits chimiques à payer 160 millions de yuans (22,5 millions d’euros).
Ces dernières étaient poursuivies pour avoir déversé des déchets acides dans deux cours d’eau entre janvier 2012 et février 2013, explique la Cour sur son compte Weibo (version chinoise de Twitter). En août dernier, le tribunal intermédiaire du Peuple de la ville avait condamné les responsables des entreprises à des peines de prison allant de deux à cinq ans.
60% des nappes phréatiques polluées
Les cas de pollution se multiplient en Chine. D’après une étude du ministère chinois des Terres et de l’Utilisation des ressources menée en 2013, dans 60% des zones testées la qualité des eaux souterraines est "mauvaise" ou "très mauvaise". Les condamnations, en revanche, ne sanctionnent qu’une petite partie de ces mauvaises pratiques, et jamais avec cette ampleur.
Mais après des années de déni, les autorités chinoises ont décidé de s’emparer du problème de la pollution, qui suscite un mécontentement populaire croissant. Début 2014, le Premier ministre, Li Keqiang, proclamait que la Chine devait "déclarer la guerre à la pollution", en ouverture de la session annuelle de l’Assemblée nationale populaire (ANP).
Forte de ce soutien, fin novembre, l’organisation All-China Environment Federation (ACEF) attaquait en justice le géant pétrolier PetroChina, un groupe public, pour avoir rejeté des eaux non traitées autour d’une de ses raffineries de la province du Jilin, dans le nord-est, réclamant 60,75 millions de yuans (8,5 millions d’euros) de dommages et intérêts.
Les tribunaux reprennent la main
D’autre part, alors que la dépendance des tribunaux locaux à l’égard des gouvernements de provinces limitait fortement leur capacité d’action, Xi Jinping a fait de l’état de droit un objectif majeur de son mandat. Le 4e plénum du comité central du Parti communiste chinois, réuni en octobre dernier, avait justement pour thème "l’autorité de la loi" en Chine, et préconisait de recentraliser la justice (voir le communiqué officiel du plénum).
L’amende record prononcée par la Cour du Jiangsu pourrait être la première illustration de ce tournant. "Il y en aura d’autres, mais il y avait déjà des affaires comme celle-là auparavant", nuance Stéphanie Balme, responsable d’un programme de recherche et d’analyse de l’évolution du droit, de la justice et de l’état de droit en Chine pour le Centre d’études et de recherches internationales (CERI).
"On ne les voyait pas forcément, parce que les tribunaux acceptaient rarement de telles affaires. Elles étaient – et sont encore – réglées le plus souvent par des médiations parajudiciaires. Quand ce mode de résolution échoue, on se retrouve face à des crises politiques: manifestations, jacqueries, etc."
Des condamnations renforcées
Les condamnations pour crimes environnementaux ont aussi été renforcées lors d’une réforme judiciaire survenue en avril dernier. Le texte original, datant de 1989, a été durci. Les amendes sont plus élevées, les dirigeants des entreprises mises en cause peuvent être détenus préventivement jusqu’à quinze jours et, surtout, les responsables politiques qui tenteraient de couvrir leurs agissements risquent un licenciement sec.
Une nouvelle ère pour la justice chinoise? "J’ai l’impression que l’ère Hu Jintao, c’était l’ère de la médiation: on voulait régler les problèmes de la société hors du système judiciaire. L’ère Xi Jinping consiste pour l’instant à replacer les tribunaux au centre du règlement des conflits sociaux ou environnementaux. Tout en conservant un contrôle politique total sur le système judiciaire", analyse Stéphanie Balme.
Pour preuve de la détermination des autorités à imposer ce contrôle, ce sont deux organisations publiques ou semi-publiques qui sont à l’origine des poursuites en justice contre les pollueurs. L’organisation All-China Environment Federation, créée par l’Etat, est ainsi promue par les autorités, tandis que les ONG indépendantes subissent des pressions et sont parfois empêchées de travailler.
Les entreprises condamnées à 22,5 millions d’euros d’amende étaient quant à elles poursuivies par l’association de protection de l’environnement de Taizhou, un groupe d’intérêt public créé en février dernier et dont le président n’est autre que le chef du bureau de l’environnement de la ville.