Publié le 12 avril 2023

ENVIRONNEMENT

Eau du robinet contaminée : une infographie pour comprendre les risques

Le dérivé d’un fongicide, le chlorothalonil, interdit en France depuis 2020, a été largement retrouvé dans les analyses menées par l’Anses sur l’eau du robinet. Le ministère de la Transition écologique se veut pour l’heure rassurant et indique que ces dépassements ne sont pas forcément synonymes de "risque sanitaire". Explications en infographie.

Eau du robinet CC0
On estime à 750 le nombre de pesticides et de leurs dérivés susceptibles de se retrouver dans l’eau potable, et seulement 206 en moyenne sont recherchés avec d’importantes disparités locales.
@CC0

L’eau du robinet est largement contaminée par un résidu de pesticide, le métabolite de chlorothalonil, un fongicide utilisé en agriculture et interdit depuis 2020 en France. C’est ce que révèle une nouvelle étude de l’Anses, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, publiée le 6 avril. En complément des contrôles réguliers effectués par les Agences régionales de santé, l’organisme public mène tous les trois ans des campagnes pour analyser les molécules dites "émergentes", qui ne sont pas encore ou peu recherchées. C’est le cas du métabolite de chlorothalonil, dont la présence à des fréquences assez importantes avait été révélée par des chercheurs en Suisse en 2019.

Les métabolites de pesticides sont des dérivés des molécules-mères, il en existe plusieurs par substance active, si bien qu’on en dénombrerait près de 2 000 aujourd’hui. Impossible dès lors de toutes les rechercher. À titre de comparaison, on estime à 750 le nombre de pesticides et de leurs dérivés susceptibles de se retrouver dans l’eau potable, et seulement 206 en moyenne sont recherchés avec d’importantes disparités locales. L’objectif est donc de s’intéresser à celles qui semblent les plus problématiques. C’est ce à quoi s’est attelée l’Anses, après l’alerte lancée par la Suisse.

Infog eau contaminée

"Pas de risque sanitaire"

Selon les travaux de l'Anses, le métabolite de chlorothalonil est présent dans un prélèvement sur deux et dépasse la limite de qualité de l’eau (fixée à 0,1 microgramme par litre) dans un prélèvement sur trois. Si cela peut paraître inquiétant, ce n’est pas encore suffisant pour prononcer des restrictions d’usage. En effet, celles-ci ne sont imposées qu'en cas de dépassement d'une valeur maximale, ici fixée à 0,3 microgramme par litre, qui n'a pas été atteinte dans les analyses de l'Anses. En outre, si le chlorothalonil a été interdit parce qu’il était considéré comme cancérogène "supposé", associé à l’apparition de tumeurs rénales sur les animaux de laboratoire, il n'y a pour l'instant aucune certitude pour le métabolite du chlorothalonil en raison du manque d’études.

Il a toutefois était classé comme métabolite "pertinent" en 2021 par l’Anses, ce qui signifie "qu’il y a lieu de considérer qu’il pourrait engendrer un risque sanitaire inacceptable pour le consommateur", précise Christophe Béchu dans un communiqué. Le ministre de la Transition écologique se veut toutefois rassurant, pour l’instant. "Les eaux prélevées et analysées sont ainsi non conformes mais ne présentent pas de risque sanitaire", précise-t-il. Pas de restrictions en vue, mais des mesures plus régulières pour avoir une meilleure visibilité.

"On sait depuis 2006, par la Commission européenne, que le pesticide chlorothalonil a la capacité de produire des métabolites en quantité importante. Or, aucune recherche probante sur la toxicité des métabolites n'a été conduite et la recherche de ces métabolites dans les eaux est très récente. C'est donc une faillite totale du suivi post homologation pour cette molécule", dénonce François Veillerette, porte-parole de Générations Futures.

En 2021, 11,5 millions de Français ont bu une eau non-conforme

Les analyses de l'Anses montre également la forte présence dans notre eau potable d'un autre métabolite de pesticide, le métolachlore ESA, quantifié dans plus de la moitié des échantillons. Il a toutefois été évalué comme "non pertinent" par l’Agence en 2022, et contrairement au métabolite de chlorothalonil, il n'a dépassé les seuils de qualité que dans moins de 2% des cas. En février dernier, l'Anses avait annoncé vouloir interdire les principaux usages de sa substance active, le S-métolachlore, l'un des herbicides les plus utilisées en France essentiellement dans les cultures du maïs, du tournesol et du soja. Or, le 30 mars, alors qu’Emmanuel Macron présentait son plan eau, Marc Fesneau a demandé à l'Agence une "réévaluation de sa décision sur le S-métolachlore, parce que cette décision n’est pas alignée sur le calendrier européen et qu’elle tombe sans alternatives crédibles".

La contamination de l'eau du robinet par des dérivés de pesticides avait déjà créé la polémique en septembre dernier. Des métabolites du chloridazone, un herbicide utilisé dans la culture de la betterave jusqu'à son interdiction en 2020, avaient aussi été retrouvés dans l’eau du robinet, entraînant la mise sous surveillance "renforcée" de l’eau dans 105 communes des Hauts-de-France. Quelques mois plus tard, des restrictions d’usage de l’eau potable étaient prononcées dans quatre communes.

Sur toute l’année 2021, les données des Agences régionales de santé mettent en évidence que 11,5 millions de Français ont été alimentés par de l’eau du robinet au moins une fois non-conforme au cours de l’année. C’est trois plus qu’en 2020. En cause, les recherches de plus en plus poussées sur les métabolites. "Il y a encore sans doute quelques surprises à attendre", conclut Sylvie Thibert, chargée de la gestion des risques sanitaires au Sedif, le Syndicat des eaux d’Ile-de-France, interrogée par Le Monde.

Concepcion Alvarez


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