Publié le 19 juin 2019
ENVIRONNEMENT
Vêtement, cosmétique, électronique : l'interdiction de détruire les invendus va être beaucoup plus compliquée que prévu
Les critiques fusent concernant le projet de loi anti-gaspillage. Les experts en droit de l'environnement affirment que la mesure n'interdira ni l'incinération, ni la destruction des invendus. Les associations s'inquiètent du peu de détails fournis. Quant aux enseignes, elles veulent qu'une obligation de recevoir leurs dons pèse sur les associations. Un cafouillage illustrant le chemin qu'il reste encore à parcourir pour que la loi atteigne son objectif.

CCO
C'est la mesure du projet de loi économie circulaire dont le gouvernement semble le plus fier. "Nous voulons en finir avec cette pratique scandaleuse qui consiste à jeter ce qui ne peut être vendu", a défendu Édouard Philippe lors de sa déclaration de politique générale le 12 juin.
Ce projet de loi anti-gaspillage, présenté comme une "première mondiale", ne devait concerner que l'habillement. Il a été élargi aux équipements électriques, électroniques et aux produits de beauté notamment. Il s'agit, pour le gouvernement, d'interdire la destruction des invendus dits non alimentaires.
Le projet de loi n'interdit pas l'incinération
Sauf que "Édouard Philippe donne un contenu à cette mesure que cette mesure n'a pas", tacle Arnaud Gossement, avocat en droit de l'environnement. "Le projet de loi ne change rien au droit actuel, il rappelle la hiérarchie des modes de traitement des déchets, c'est-à-dire réemployer, réutiliser ou recycler. On n'interdit pas aux entreprises de jeter leurs invendus et il n'est écrit nulle part, noir sur blanc, qu'on n'autorise pas l'incinération en dernier recours".
Du côté d'Emmaüs, l'association qui a défendu cette interdiction dans l'habillement, on salue quelques avancées mais on émet des doutes. "On devait avoir un projet de loi calqué sur la loi Garot (obligation pour les grandes surfaces de donner leurs invendus alimentaires, NDR), mais il n'y a par exemple aucune interdiction de ne pas rendre impropre le produit à la consommation", avance Valérie Fayard, directrice générale adjointe de l'association. "Or on sait que le luxe préfère que son foulard devienne une serpillière plutôt qu'il soit envoyé à Emmaüs ! Si les enseignes ne veulent pas donner, elles n'ont qu'à mettre fin à ce système de surproduction", défend-elle.
Une obligation faites aux associations de recevoir les dons ?
Justement, les enseignes, elles, affirment avoir pris à bras-le-corps le sujet de la gestion des invendus. "Cette mesure va permettre d'inciter les entreprises en retard à agir", salue Yohann Petiot, directeur général de l'Alliance du commerce qui regroupe 26 000 commerçants. "La majorité des enseignes donnent déjà à des associations. Les volumes d'invendus sont marginaux après avoir été soldés puis envoyés en outlet (magasin d'usine, ndr), on arrive entre 1 à 5 % d'invendus."
Mais pour l'Alliance du commerce, plusieurs verrous sont encore à lever pour permettre un vrai changement. "Puisqu'il y a une obligation à donner, nous défendons une obligation à recevoir", explique Yohann Petiot. Concrètement les enseignes estiment aujourd'hui que les associations doivent monter en compétence pour être en capacité de recevoir tous leurs invendus. De même, il y a un enjeu de traçabilité. "Aucune enseigne ne veut que ses propres produits entrent en concurrence avec sa marque. Les associations garantissent trop peu le respect de la propriété intellectuelle".
Bercy bloque une incitation fiscale
Reste à savoir ce que les enseignes risquent si elles ne respectent pas la loi. Des "sanctions incitatives, d'un point de vue financier, seront prévues contre ceux qui ne respectent pas la mesure anti-gaspillage", détaille à Novethic le ministère de la Transition écologique et solidaire, sans en préciser le montant. Il affirme également que des "contrôles inopinés seront effectués par les Services de l'État".
Pour l'instant, aucune incitation fiscale n'a été officiellement évoquée, elle est pourtant défendue par plusieurs experts, associations et enseignes. "Une mesure fiscale est préférable à une modification réglementaire, comme aujourd'hui, qui ne change pas grand chose", défend l'un d'eux. Mais "Bercy bloque. Tout le monde a été traumatisé par la taxe carbone".
Marina Fabre, @fabre_marina