Publié le 26 mars 2023

ENVIRONNEMENT

Mégabassines de Sainte-Soline : la guerre de l’eau est déclarée

Plusieurs personnes en urgence absolue, des épais nuages de gaz lacrymogène, des camions brûlés, des tirs de LBD en quad... les images des affrontements entre les forces de l'ordre et les manifestants dans les champs de Sainte-Soline sont surréalistes. Au cœur du conflit : les mégabassines. Les opposants dénoncent l'accaparement de l'eau, bien commun, par quelques agriculteurs au détriment de la majorité. Dans un contexte de sécheresses à répétition induites par le changement climatique, le partage de l'eau devient un enjeu de mobilisation majeur. 

Megabassines sainte soline THIBAUD MORITZ AFP
Les forces de l'ordre en quad, une sorte de "BRAV-M des champs", décrit à l'AFP la secrétaire générale d'EELV Marine Tondelier.
THIBAUD MORITZ / AFP

Ce sont de violents affrontements dignes de scènes de guerre qui se sont déroulés à Sainte-Soline dans les Deux-Sèvres le 25 mars. Près de 30 000 manifestants - 6 000 selon la préfecture - se sont réunis en opposition aux systèmes de réserves d’eau de substitution. Des "mégabassines" qui sont le symbole de "l’accaparement de l’eau par l’agro-industrie" selon ses opposants. Le parquet local assure que les secours ont pris en charge sept manifestants blessés dont trois traités en urgence absolue, 28 gendarmes blessés dont deux hospitalisés en urgence absolue. Deux journalistes ont également été touchés. 

Les organisateurs - le collectif d'associations "Bassines non merci", le mouvement écologiste des Soulèvements de la Terre et le syndicat agricole, Confédération paysanne - évoquent, eux, un bilan beaucoup plus lourd, avec 200 manifestants blessés dont un serait entre la vie et la mort, information non confirmée par les autorités. Des observateurs de la Ligue des droits de l’Homme ont déploré par ailleurs que la prise en charge d’un blessé grave ait été retardée par les autorités. Sur place, la journaliste Hélène Assekour affirme avoir vu "de [ses] yeux le camion de pompiers bloqué par les gendarmes", écrit-elle sur Twitter. Une situation explosive qui fait écho à la mobilisation contre la réforme des retraites, émaillée de fortes violences.

Pas de prise en compte du changement climatique 

La mobilisation à Sainte-Soline est motivée par la mise en place de mégabassines, de vastes excavations qui peuvent contenir jusqu’à 650 000 mètres cubes d’eau soit l’équivalent de 260 piscines olympiques.  Dans le département des Deux-Sèvres, seize retenues d’eau d’une capacité totale d’environ 6 millions de mètres cubes doivent être construites. Le projet est porté par une coopérative de 450 agriculteurs avec le soutien de l’État. L’objectif est de stocker en plein air de l’eau puisée dans les nappes superficielles en hiver, afin d'irriguer les cultures en été quand les précipitations se raréfient. Le ministre de l’Agriculture, Marc Fesneau, défend un "projet vertueux". 

Problème : l’unique rapport scientifique disponible sur la question, publié par le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) n’a pas intégré dans sa modélisation les effets du changement climatique. Le projet pourrait ainsi augmenter de 5 à 6% le débit des cours d’eau l’été contre une baisse de 1% l’hiver, mais c’est sans tenir compte des sécheresses récurrentes induites par la crise climatique, y compris en hiver. Sur Twitter, l’hydroclimatologue Florence Habets écrit d’ailleurs que "les sécheresses longues rendent inefficace ce type de substitution". Alors que cet hiver, la France a cumulé 32 jours consécutifs sans une goutte de pluie, les limites sont déjà visibles.

"Privatisation de la ressource en eau"

Ce que dénoncent globalement les opposants aux mégabassines c’est la poursuite d’un modèle agricole productiviste très gourmand en eau, privilégiant les gros céréaliers et les cultures de maïs. "Avec la multiplication des sécheresses, on se rend compte que l’eau est notre bien le plus précieux. Les bassines sont injustes car c’est une appropriation et une privatisation de la ressource en eau par quelques-uns au détriment de la majorité", dénonce la secrétaire générale d’Europe Écologie Les Verts, Marine Tondelier.

Les quelques-uns en l’occurrence sont les agriculteurs qui cotisent à la coopérative. Si les partisans des mégabassines assurent que ces dernières bénéficieront à tous les agriculteurs puisque les nappes seront moins sollicitées en été, la journaliste du Monde Martine Valo rappelle : "En cas d’arrêté préfectoral d’alerte sécheresse, seuls les exploitants raccordés aux bassines ont le droit de continuer à irriguer. Pas les autres".

Marina Fabre Soundron avec AFP


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