Publié le 31 octobre 2022
ENVIRONNEMENT
Mégabassine pour l’agriculture : la guerre de l'eau a fait plusieurs blessés dans les Deux-Sèvres
Scènes surréalistes dans les champs des Deux-Sèvres samedi 29 octobre : affrontements violents et courses poursuites entre les manifestants écologistes opposés au projet de mégabassine de Sainte-Soline et les forces de l’ordre. D’un côté, plusieurs milliers de manifestants, de l’autre, 1 700 gendarmes, et des blessés dans les deux camps. L'agriculture intensive et les ressources en eau qui lui sont nécessaires sont le moteur de cet affrontement autour d'une ressource vitale dans cette zone de grande sécheresse.

PASCAL LACHENAUD / AFP
Sainte-Soline et son projet de mégabassine, une réserve d'eau équivalente à 260 piscines olympiques, sont le symbole d'un affrontement entre deux modèles d'agriculture, l'intensive qui reste massivement pratiquée en France et celle qui s'efforce de préserver les ressources naturelles dont l'eau, essentielle aux deux. Samedi 29 octobre, plusieurs milliers de personnes étaient rassemblés à proximité de cette réserve d'eau géante pour une manifestation interdite qui a dégénéré en affrontements avec les forces de l'ordre.
Pour disperser les manifestants, qui ont forcé la grille protégeant la future mégabassine de 16 hectares, elles ont fait usage de gaz lacrymogène que le vent a renvoyé vers elles. Bilan du ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, une soixantaine de gendarmes blessés. Côté manifestants, une trentaine de personnes ont également été blessées dont dix prises en charge par les pompiers et trois hospitalisées, selon le collectif "Bassines, non merci". Pour la préfète des Deux Sèvres, Emmanuelle Dubée, ce bilan s’explique par la violence des manifestants.
Violences (mortiers, cocktails molotov, jets de projectiles…) pendant la #manifestation interdite à #SainteSoline (toujours en cours). Action déterminée des forces de l’ordre pour garantir la sécurité et protéger le périmètre. L’intrusion sur le site a été évacuée. pic.twitter.com/gtSQVPkhSw
— Préfète des Deux-Sèvres (@Prefet79) October 29, 2022
Les organisateurs de la manifestation revendiquent eux une action pacifiste et racontent avoir été agressés, y compris une députée écologiste portant son écharpe tricolore, Lisa Belluco. D’autres élus écologistes étaient présents dont Yannick Jadot et Marine Tondelier, candidate à la direction du parti EELV.
Opération « 1,2,3 bassines »
4e ligne de CRS passée dans le calme côté manifestante.s.
Nous sommes à qq centaine de mètres de la bassine en construction.
Non violence. Mais determination.
Et soutien à @LisaBelluco qui s’est pris qq coups matraques malgré son écharpe deputée. pic.twitter.com/1H9CKqM5Tq— Marine Tondelier (@marinetondelier) October 29, 2022
L'eau, un bien commun
Le débat de fond reste celui sur l'usage de l'eau en zone de grande sècheresse et d'agriculture intensive, deux caractéristiques des Deux-Sèvres. De nouvelles mesures de restrictions des usages ont été mises en place le 24 octobre dernier, les rares pluies tombées depuis l’été n’ayant pas permis de résoudre la situation de stress hydrique de la région qui dure depuis plusieurs mois. C’est pour cela que les manifestants ont choisi Sainte-Soline pour protester contre le projet de mégabassine qui, selon eux, capte un bien commun, l’eau, au bénéfice exclusif de quelques exploitations agricoles.
En tant qu’agricultrice, je ne peux que soutenir le combat de celles et ceux qui luttent contre les mega-bassines à Sainte-Soline.
720 000 m3 d’eau sur 16 hectares pour 12 exploitations ; et aucune ne s’est engagée vers une conversion bio.
On n’en veut pas. #BassinesNonMerci pic.twitter.com/vmgYLjdmuR— Claire Desmares (@clairedmars) October 29, 2022
La manifestation de samedi illustre à quel point il sera difficile de mettre en œuvre le programme européen de transformation agricole Farm To Fork, de la fourche à la fourchette en français, indispensable pour atteindre les objectifs environnementaux du Green Deal, Pacte vert en français. En France, la bataille se polarise sur les mégabassines, projets qui ont le soutien du gouvernement. Aux Pays-Bas c’est le contraire. Les agriculteurs s'opposent violement au gouvernement sur les mesures permettant de réduire la pollution de l'azote d'un cheptel devenu délirant à l’échelle du pays. Depuis plus de deux mois, les affrontements entre agriculteurs et forces de l’ordre font rage autour du plan de réduction de 30 % des élevages néerlandais pour lutter contre la pollution à l’azote des sols.
Transformer notre modèle agro-industriel pour respecter le Green Deal
La situation est très bien décrite au micro européen de France Info par le journaliste Roger Stryland : "Aujourd'hui, il y a 11 millions de cochons, 4 millions de vaches, 100 millions de poulets, pour 18 millions d'habitants. L'agriculture est très intensive et très polluante. Les mesures pour y remédier sont radicales. Le gouvernement dit que pour lutter contre l'azote, il faut qu'un tiers des exploitations agricoles arrêtent leurs activités, qu'un autre tiers se reconvertisse, ce qui fait quand même 60% des exploitations agricoles, soit 30 000 sur 50 000", explique-t-il.
Les Pays-Bas sont le deuxième exportateur mondial dans le domaine agricole derrière les Etats-Unis. Cela représente plus de 96 milliards d’euros par an selon des chiffres de 2020. La France elle est sixième du top 10 mondial avec plus de 65 milliards d’euros par an d’exportation agricole. La transformation de l'agro-industrie européenne pour laquelle l'exportation reste déterminante est indispensable pour atteindre les objectifs environnementaux de l'Union Européenne. Les affrontements de Sainte-Soline comme ceux aux Pays-Bas ne sont pas de bon augure. Ils soulignent à quel point les objectifs du Green Deal semblent difficile à atteindre sans l'adhésion de toutes les parties prenantes dont les gouvernements des pays membres et les secteurs les plus cruciaux.
Anne-Catherine Husson-Traore @AC_HT_