Publié le 11 octobre 2019
ENVIRONNEMENT
[Reportage] Depuis cinq jours, Extinction Rebellion occupe le centre de Paris
Au cinquième jour de l’occupation, les membres d'Extinction Rebellion France doivent décider de la suite de leur action : continuer à occuper la place du Châtelet au centre de Paris ou changer de stratégie pour frapper plus fort. Alors que les forces de l'ordre jouent l'indifférence, la zone d'occupation s'est pour l'instant étendue et le mouvement a décidé d'accueillir sur place de nouveaux groupes tels que les Gilets jaunes.

@CA
"Allez, on va bloquer le Starbucks" lance Merry, un free-lance de 30 ans qui vient juste de rejoindre Extinction Rebellion France. Un petit groupe d’une dizaine de personnes emporte palettes et pancartes pour aller se poster devant la chaîne de café, régulièrement prise pour cible par les activistes. Au quatrième jour d’occupation, jeudi 10 octobre, la zone bloquée a été étendue de la place du Châtelet à une partie de la rue de Rivoli et du boulevard Sébastopol au coeur de la Capitale.
"Cette rue est un beau symbole de notre société productiviste", commente Nicolas, un marin de 41 ans qui participe là à sa toute première mobilisation climatique. Arrivé dimanche dans la capitale pour assister au briefing, il vit depuis trois jours dans la zone des "Trois mâts", celle qui se situe sur le pont au Change, où un voilier a été installé. En face, les policiers ont érigé un mur métallique qui empêche tout passage.
"C’est le mur de Berlin, le rideau de fer", ironise Arthur, 21 ans, ancien zadiste à Notre-Dame-des-Landes, tout en soufflant sur son café chaud. Un couple de retraités normands est venu ravitailler les troupes, thermos dans une main et pain d’épices dans l’autre. "Nous avons fait le voyage exprès à Paris pour les soutenir", expliquent-ils. "Nous avions aussi participé au blocage de Total à La Défense le 19 avril dernier".
Ateliers, formation, conférences
Le site compte au total six points de blocage tenus par des volontaires "bloqueurs" qui restent sur le qui-vive en cas d’intervention des forces de l’ordre. Ils agissent en binôme avec des "peacekeepers" identifiables grâce à leurs gilets orange. Ce sont eux qui sont chargés de gérer les relations entre les activistes et les forces de l’ordre, le public et les automobilistes pour tenter de conserver un climat apaisé. Jeudi matin, à Hôtel de Ville, un accrochage a été signalé avec des CRS, rapidement éteint par l’intervention d'un de ces intermédiaires.
La journée était dédiée aux migrations écologiques. Un blocage de la circulation fluviale sur la Seine a dû être annulé après que l’information a fuité auprès de la police. Les prises de parole se sont finalement tenues rue de Rivoli avec François Gemenne, membre du Giec, Serge Janicot de l’IRD (Institut de recherche pour le développement) et Carola Rackete, la capitaine du Seawatch3 qui a forcé l’entrée du port de l’île de Lampedusa, dans le sud de l'Italie, pour y débarquer 42 migrants.
Mercredi, de nombreuses formations à la communication non-violente ou à l’intelligence collective ont été organisées, des expositions scientifiques sur les crises bioclimatiques installées et des ateliers mis en place pour sensibiliser le plus grand nombre. Les activistes ont également décidé en Assemblée générale d'accueillir d’autres mouvements sociaux comme les Gilets jaunes. Ces derniers ont pu installer dans la nuit de mercredi à jeudi une cabane juste devant le théâtre du Châtelet.
Bloquer le périph'
"On est là pour les aider mais on espère qu’eux aussi vont nous soutenir dans nos manifestations du samedi", explique Adrien, 31 ans et Gilet jaune depuis la première heure. Cette ouverture inquiète toutefois certains au sein d’Extinction Rebellion. "Je ne sais pas si nous avons la capacité d’accueillir tous les laissés-pour-compte de Paris", explique une jeune femme pendant l’Assemblée citoyenne de la mi-journée. "Nous sommes épuisés et moins visibles, peut-être que nous devrions déménager."
"La stratégie du laisser-faire de la police est efficace et tue le sens de notre action ici", renchérit une autre activiste mobilisée sur l’organisation de la journée du 12 octobre. "Notre but est de pousser les forces de l’ordre dans leur retranchement, nous devrions prendre les Champs-Élysées, aller devant l’Élysée, bloquer le périph." Une poignée de mains se lèvent, en signe d’approbation. D’autres lèvent les doigts pour demander une réponse directe.
"Le fait que les policiers ne nous dégagent pas est un succès immense car cela prouve que nous pouvons nous réapproprier l’espace public sans qu’il ne se passe rien. Nous devons en faire un lieu d’échange et de formation pour sensibiliser et recruter car l’objectif n’est pas de renverser le gouvernement aujourd’hui mais de grossir pour faire masse et revenir dix fois plus nombreux la prochaine fois", réagit un jeune homme avant qu'un point technique n'interrompe l’assemblée. "Les voitures commencent à forcer sur Rivoli, il faut plus de monde sur place." Rester ou partir, Extinction Rebellion est à un tournant.
Concepcion Alvarez @conce1