Publié le 24 mai 2016

ENVIRONNEMENT

Négociations climatiques : comment les pays en développement font de leur vulnérabilité un atout

À Bonn, les première négociations sur le climat post COP21 battent leur plein. Les pays émergents, les plus menacés par le réchauffement global, tentent de peser de tout leur poids. En rédigeant leurs contributions climatiques nationales, ces pays ont montré qu’ils sont prêts à adopter un mode de développement faisant la part belle aux énergies renouvelables. En d’autres termes, ils se disent prêts à faire l’impasse sur les énergies fossiles pour entrer directement dans l’ère du solaire et de l’éolien. Les acteurs économiques parlent alors d’un scénario de "leapfrog". Décryptage d’un concept qui fait tâche d’huile dans les négociations climatiques.

Le ministre des Affaires étrangères marocain, Salaheddine Mezouar, plante un arbre lors de la cérémonie d'ouverture de la Conférence sur le changement climatique, qui se tient à Bonn, en Allemagne, du 16 au 26 mai.
Patrik Stollarz / AFP

Le monde à l’envers. Le saut de grenouille ou comment un déficit d’infrastructure devient un atout économique. "La transformation des économies est plus facile pour les pays émergents", analyse Wael Hmaidan, directeur international du réseau Climate Action Network (CAN), qui regroupe 950 ONG dans le monde. "Les pays développés doivent remplacer leurs infrastructures existantes alors que les pays émergents sont en train de construire leurs économies. Tout ce qu’ils ont à faire, c’est de réorienter leur politique d’investissement dans une économie bas-carbone."

De fait, sur le continent africain, une personne sur deux n’a pas accès à l’électricité. Un grave déficit... mais aussi une opportunité.

De quoi s’agit-il exactement ? Le terme de "leapfrog", ou saut de grenouille en anglais, désigne le fait d’atteindre par les pays émergents des objectifs avancés de développement économique, en sautant les étapes intermédiaires empruntées par les pays développés. Grâce aux nouvelles technologies. Illustration : l’expansion impressionnante de la téléphonie mobile sur le continent africain. Exit la case téléphone fixe avec ses câbles.

Transposé à l’économie du climat, cela signifie pour les pays en développement, et le continent africain tout particulièrement, exploiter tout le potentiel offert par les énergies renouvelables.

 

La fin d’un paradigme

 

C’est la fin d’un paradigme. Jusqu’à l’adoption de l’Accord de Paris, les négociations climatiques buttaient sur une vision économique qui associait développement et énergies fossiles. Or, dans le texte de l’Accord de Paris, le projet de décision – le passage qui précède l’accord proprement dit – acte "la nécessité de promouvoir l’accès universel à l’énergie durable dans les pays en développement, en particulier en Afrique, en renforçant le déploiement d’énergies renouvelables". Un énoncé que vient relayer l’article 4.6 du texte de Paris, qui pose les bases d’un développement économique bas-carbone dans les pays en développement.

Les investisseurs ont été prompts à recevoir le signal envoyé par les négociateurs. Dans une étude du cabinet d’affaires londonien Linklaters, on souligne que l’Accord de Paris devrait accélérer le développement économique du continent africain grâce au cadre fixé autour des énergies vertes. "À mesure que les énergies renouvelables deviennent de plus en plus compétitives, certains signaux envoyés par les économies de la zone sub-saharienne montrent que les énergies renouvelables pourraient enjamber ('leapfrog', ndlr) les énergies fossiles et assurer le développement économique du continent africain", analyse Melanie Shanker, avocate associée qui dirige Linklaters à Londres.

 

Faible volonté politique

 

Il reste toutefois des défis à relever. "Les principaux barrages au déploiement des énergies renouvelables restent les subventions aux énergies fossiles et une faible volonté politique pour promouvoir les nouvelles énergies", constate Wael Hmaidan qui appelle à la nécessaire sécurisation des cadres d’investissement pour les nouvelles énergies dans les pays émergents. A cet égard, il estime que les instances financières internationales ont un rôle à jouer : "Elles peuvent aider à créer un environnement d’investissement à faible risque permettant l’expansion des nouvelles énergies. Elles sont capables d’envoyer les bons signaux aux investisseurs".

Les conditions semblent donc réunies pour poser les bases d’un cercle de développement vertueux. Le saut de grenouille pourrait bien se transformer en bond de géant.

Claire Stam
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